Dans la santé comme ailleurs, l’heure est à la « grève » et à la manifestation chez les patrons et dans les professions libérales. En particulier, entre Noël et le jour de l’an, les cabinets médicaux sont appelés à fermer par les principaux syndicats de médecins libéraux...
Àvrai dire, l’opération consiste surtout à appeler « grève »... la semaine de vacances que prennent la majorité des dits praticiens, et s’ils devaient tenir des « assemblées générales », ce serait probablement dans la queue des remonte-pentes de Mégève ou de Courchevel. Pendant ce temps, les hôpitaux publics devront, eux, assurer l’accueil d’un surcroît de patients, avec des personnels surchargés et des services débordés.Quant aux patrons des cliniques privées commerciales et à la FHP (1) (Fédération de l’hospitalisation privée, adhérente au Medef), ils appellent à une cessation d’activité, totale et illimitée, de leurs établissements à partir du 5 janvier.
« Une bolchévisation de la santé » ?L’objet de cette pantalonnade est « la loi de santé », dont le Parlement doit débattre en début d’année. Pour la FHP, ce « texte liberticide, fondé sur un credo idéologique antilibéral, est un casus belli pour les entreprises de santé que nous sommes ».Quant aux principaux syndicats de médecins libéraux, leur bête noire est l’instauration du « tiers payant » pour les consultations médicales, qui permettrait pourtant au patient de ne plus faire l’avance de la consultation. Le médecin serait directement payé par l’assurance maladie. Les difficultés et les impasses auxquelles est confronté l’exercice libéral de la médecine sont ainsi canalisées vers des revendications corporatistes opposées à l’intérêt des patients.Patrons et libéraux dénoncent en chœur « l’étatisation » de la médecine. Emporté par son élan, le Dr Roger Rua, président du Syndicat des médecins libéraux (SML) va jusqu’à affirmer : « C’est plus qu’une étatisation, c’est une bolchevisation » ! Hollande, Valls et Touraine seraient-ils brusquement passés du social libéralisme à un quasi « bolchevisme », ou du moins à une politique redonnant une place prépondérante à l’hôpital public ?Il n’en est bien évidemment rien. Non seulement ce gouvernement n’est pas revenu sur les contre-réformes de la droite, mais le projet de loi Touraine se situe dans la continuité de la loi Bachelot, qu’elle aggrave même en précisant que « le service public hospitalier est assuré par les établissements publics et les établissements privés ». Ce projet rend aussi obligatoire les regroupements et restructurations d’hôpitaux au sein d’un « groupement hospitalier de territoire » qui ne sera pas un service public, mais un « service territorial de santé au public ». Son but sera d’œuvrer à la politique d’austérité et de privatisation de la santé.
Le beurre et l’argent du beurreLe gouvernement entend faire piloter cette politique par les Agence régionales de santé (ARS) pour éviter que la disparition du service public n’aboutisse à la création de véritables déserts sanitaires, avec des conséquences dramatiques pour la population. Tous les acteurs, y compris libéraux et privés, sont donc sollicités pour répondre à un minimum de présence dans les territoires.Mais pour le privé, il n’en est pas question : ils veulent à la fois le beurre, c’est à dire la privatisation de la santé à leur profit, et l’argent du beurre, l’absence de toute contrainte pour répondre aux besoins de santé.Ils ont déjà bénéficié du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), et sont convaincus que ce gouvernement capitulera encore devant leurs exigences, comme devant toutes celles des patrons et de la droite. Ils n’ont pas entièrement tort : aux dernières nouvelles, l’examen du projet de loi de santé serait reporté de plusieurs mois...C’est donc à la fois contre le projet de loi Touraine et contre les exigences du patronat et de ses alliés libéraux que doit s’organiser la riposte pour la défense de l’hôpital public et de la Sécurité sociale, pour un véritable service public de santé.
J.C. Delavigne
1 – La FHP regroupe un millier de cliniques et d’hôpitaux privés employant 154 000 salariéEs et 42 000 médecins.