Entretien avec Yann, conducteur de trains dans la région d’Amiens.
En quoi consiste ton travail ? Comment est-il organisé ?
Je suis donc conducteur de trains, affecté à l’activité TER, donc je ne conduis que des trains de voyageurs. Avant d’entrer à la SNCF j’étais conducteur chez Euro Cargo Rail, qui est une filiale de la Deutsche Bahn, qui fait du transport de fret depuis l’ouverture du marché intérieur à la concurrence en 2006. Cela fait maintenant près de deux ans que je conduis seul des trains à la SNCF. Dans la région d’Amiens, pour ce qui est de nos conditions de travail, on respecte à la lettre le cadre du RH077 [décret de 1999], qui n’est pas si favorable que certains le prétendent. Moi comme je suis jeune conducteur je suis en « service fac », ou facultatif, on fait des remplacements, donc je peux découvrir mes journées deux heures à l’avance si c’est un départ en découché, c’est-à-dire quand la fin de service s’effectue à l’hôtel, ou une heure à l’avance quand la prise et la fin de service se font sur mon lieu de résidence. Donc même si je connais mes jours de repos 6 mois à l’avance et si on a des temps de coupure bien encadrés, si on ajoute les horaires irréguliers, décalés, ce sont des conditions de travail vraiment pas simples, en particulier à Amiens car il y a certains endroits où il y a des accords locaux qui rendent les choses moins compliquées.
Quels sont les risques pour ton métier si la réforme passe ?
Avec la libéralisation, comme on va devenir transférable auprès des opérateurs privés qui obtiendront des contrats, on pourra perdre les quelques acquis qui nous restent au profit des accords d’entreprise de l’opérateur qui nous reprend. Et on sait que ces nouveaux opérateurs voudront dégager des profits et faire un maximum de production avec une masse salariale la plus basse possible, ce qui veut dire moins d’effectifs, des journées plus longues, des temps de coupure moins longs, notamment sur les découchés, plus de pression, etc. Moi ce qui m’inquiète le plus finalement, c’est le changement de statut juridique de la SNCF, qui va devenir une société anonyme. Quand je repense à mon expérience chez Euro Cargo Rail, c’est vraiment une idéologie très différente, avec des sociétés qui pensent profit avant de penser service, et qui tentent de faire de l’argent à tout prix, y compris en négligeant les conditions de sécurité à force de vouloir réduire les coûts : une fois, je me suis retrouvé avec une machine à laquelle il manquait une semelle de frein, donc la machine freinait avec la ferraille, ce qui est hyper dangereux ; j’ai refusé de conduire le train, et je me suis pris des pressions de la direction pendant des semaines, à devoir me justifier, on m’expliquait que le train aurait pu, aurait dû rouler, etc. Aujourd’hui à la SNCF, on n’en est pas – encore – là mais, avec la logique de rentabilité à tout prix, demain, si un train ne circule pas, ça va être vu uniquement comme de l’argent perdu et il va falloir que quelqu’un en porte la responsabilité. C’est le passage de la logique de service public à la logique d’entreprise.
Comment se déroule la mobilisation ?
Je suis dans une situation particulière, j’habite à Évreux, donc assez loin d’Amiens, et du coup la mobilisation je l’ai surtout faite à Paris, autour de Paris Nord. Mais à partir du 3 avril, j’ai pris mes précautions et je suis hébergé chez des collègues pour ne pas avoir à faire des allers-retours tous les jours pour les AG et pour tenir les piquets de grève. Ça discute de la stratégie, sur Amiens on a beaucoup de collègues qui sont assez friands du calendrier avec les grèves de deux jours, ils y voient un moyen de maintenir la pression mais aussi un intérêt financier, même si la SNCF essaie illégalement de nous sanctionner. À Amiens, les deux principaux syndicats sont Sud et FO, et on est d’accord pour essayer de partir en reconductible par période de 24h. Donc c’est ça qu’on défend, et qu’on va défendre dans les AG. Ce sont mes premières AG, et ce n’est pas évident de prendre la parole quand on est timide comme je le suis, mais on est motivés, et on va aussi essayer de mettre en place un comité de grève, avec des gens syndiqués, non syndiqués, pour s’investir dans la lutte, mettre en place la caisse de grève, aller voir les autres secteurs pour faire converger les luttes, etc.
Propos recueillis par Julien Salingue