Ce lundi 13 juin, une agitation particulière règne dans la gare Saint-Lazare. Sur les quais, une nuée de « gilets rouges » de la SNCF tentent tant bien que mal de renseigner les passagers. Car il y a du travail à voir les écrans : pas beaucoup de trains rouleront aujourd’hui.
Juste au-dessus des quais, la « feuille » – l’endroit où les conducteurs viennent habituellement prendre leur service et passer leur pause – bruisse d’une ambiance particulière. Plus de 80 cheminots sont réunis en Assemblée générale, venus de Paris Saint-Lazare, mais aussi de Mantes, d’Achères, de Cergy, du Val d’Argenteuil…Tout le monde est content de se retrouver, c’est autre chose que la grève canapé ! On se partage les infos sur les taux de grève, le sourire aux lèvres : ils sont bons avec plus de 70% de grévistes. Mantes réussit même à dépasser sur son périmètre les 100% de grévistes : des conducteurs ne devant initialement pas travailler se sont quand même mis en grève ! Cela fait un an et demi qu’une grève n’avait pas été aussi suivie sur la région dépendant de Paris-Saint-Lazare. Cette fois-ci encore, personne ne pense qu’une grève d’un jour suffira à faire reculer la direction. Mais cette première journée permet de marquer le coup, de discuter, de s’organiser… et de préparer les suites !
« Pilote Orion, pilote de la désorganisation, pilote de la m… » (entendu en AG…)
L’assemblée générale est l’occasion pour chacun de partager sa colère sur la dégradation continuelle des conditions de travail. La région de Paris Saint-Lazare est « pilote » pour le déploiement d’un nouveau logiciel de programmation des journées de service des conducteurs. Mais Orion – c’est son doux nom – a la fâcheuse tendance de changer au dernier moment la programmation des cheminots à des fins « d’optimisation ». 48 ou 24 heures avant de travailler, sans motif apparent et de manière contre-réglementaire, vous êtes donc notifiés que finalement vous ne finirez pas à 15h mais à 16h et que vous ne finirez pas votre journée à Cergy mais à Achères. Un enfer pour l’organisation de sa vie personnelle ! Face à cela, la direction n’a qu’un mot : « c’est pas nous, c’est Orion ! » Dans son scénario digne d’I-Robot, les machines ont pris le pouvoir : Orion est fou et semble être doué d’une intelligence particulièrement fourbe qui prendrait un malin plaisir à s’attaquer aux cheminots… Au bout de plusieurs mois, devant la grogne qui montait, la direction a bien pondu une prime d’une dizaine d’euros par journée de service changée au dernier moment pour « compenser » le désagrément. Mais les conditions étaient telles pour la toucher qu’aucun cas ou presque ne rentrait dans les clous ! Quelques jours avant la grève - hasard de calendrier bien sûr… - les critères pour toucher la prime ont sauté. Mais quelles compensations pour les changements impromptus qu’on subit depuis janvier ? Et, surtout, au-delà du montant par ailleurs complètement insuffisant de cette prime, on tient à la visibilité sur nos journées de travail : nous ne sommes pas à disposition de la direction ! Car, derrière les « bugs » d’Orion, un esprit (mal placé bien sûr !) pourrait y voir une tentative de la boîte de « flexibiliser » encore plus notre travail : faire autant voire plus avec moins de conducteurs, on connaît la chanson à force. À écouter le récit d’une collègue en AG, Orion a d’ailleurs bon dos. Elle se plaint d’une modification d’une journée de service qui contrevient complètement aux accords locaux… la réponse ? « On s’en fout des accords locaux ! » Et ce n’est pas un robot qui lui parlait…
Une attaque peut en cacher une autre : le déploiement d’Orion est aussi le prétexte pour la direction de s’en prendre aux postes des « GM » (gestionnaires de moyens) qui s’occupent aujourd’hui de programmer les journées des conducteurs. Avoir l’aide d’un logiciel plus performant dans leur travail ? Tout le monde signerait ! Mais comme dans toutes les autres entreprises, le déploiement technologique devient une arme tournée contre les travailleurs : à quoi bon garder des GM si un logiciel fait tout à leur place ? Surtout que ces GM ont parfois la fâcheuse tendance à ne pas obéir comme des… robots aux impératifs de productivité demandés par la boîte. Et vous arrangent votre journée quand votre enfant est malade ou que vous avez un pépin, là où Orion reste esclave de sa programmation patronale.
Bien d’autres sujets de colère animent l’AG. Comme cette dernière refonte des protocoles sur les congés proposée par la direction : le système semble avoir été pensé pour être le moins arrangeant possible pour les conducteurs. Des bâtons dans les roues avec néanmoins une logique en bout du compte : compenser le sous-effectif en s’en prenant aux conditions de travail – et donc de congés - des conducteurs.
Rendez-vous le 23 et le 24 juin… et plus si affinités !
Après avoir voté démocratiquement les revendications du mouvement, l’AG se conclut par une discussion sur les suites : comment entraîner encore plus de collègues dans le mouvement tout en ayant conscience que des grèves « carrées » sur un jour ne suffiront certainement pas ? Le débat aboutit sur une proposition qui fait accord entre tous ou presque : si la direction ne satisfait pas nos revendications, on remettra le couvert le 23 et le 24 juin prochains, sans s’interdire de ne pas reprendre le travail par la suite… La date n’est pas choisie au hasard : le 24, une journée de grève est également prévue chez les conducteurs de Paris Sud-Est sur des sujets similaires. L’occasion de taper ensemble sur le même clou !
« Vous pouvez me le dire dans toutes les langues que vous voulez… » : un seul langage, la grève !
La direction, qui n’acceptait au départ que de recevoir une délégation limitée en nombre, a finalement bien été obligée de descendre de ses étages devant le refus tout net de l’AG. L’occasion pour les grévistes présents de lui faire entendre directement ses quatre vérités et ça fait du bien ! Mais en guise de réponse à nos revendications, on a seulement eu droit à leur habituel numéro de théâtre : à l’ersatz de mea-culpa qui respirait tout sauf la sincérité (« j’ai dû mal m’exprimer »…) a succédé la tentative - bien sincère celle-là ! - de nous prendre pour des idiots : « vous n’avez pas bien compris, on va refaire de la pédagogie ». Pour le reste, aucune réponse car il faut les comprendre, ce ne sont pas eux qui décident. Un coup, c’est la faute à Orion, la fois d’après, à la direction Transilien (au niveau de toute la région Île-de-France). Mais il faudra pas nous le dire trop de fois… car un jour ou l’autre on risque bien d’aller chercher nos collègues de toute l’Île-de-France pour les embarquer avec nous dans le mouvement ! Au plus grand bonheur de notre direction qui nous verra enfin devenir l’établissement « pilote »… de la grève.