Entretien. Président de la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics, nous avons rencontré Michel Jallamion à quelques jours du rassemblement de Guéret des 13 et 14 juin prochain.Dix ans après la manifestation de mars 2005 à Guéret, quel bilan peut-on tirer de la mobilisation pour la défense des services publics ?En Europe les services publics n’ont cessé de se dégrader du fait des politiques d’austérité, de la volonté de libéralisation de la troïka relayée, orchestrée par les gouvernements nationaux (à l’exception du gouvernement grec actuel). En France, l’implantation de nos services publics se raréfie en campagne et dans les zones urbaines populaires. La loi NOTRe l’intensifiera faisant fi de tout aménagement harmonieux et équilibré du territoire. Les services publics de réseaux sont privatisés ou démantelés. Ceux encore publics sont gérés comme des multinationales. Leur qualité s’est dégradée. Tous les services publics sont sacrifiés au nom de la rentabilité à tout prix alors que nous assistons à une gabegie financière (PPP, externalisation des tâches…).Face à ce bilan négatif, il faut opposer celui de la progression des convergences. Depuis 10 ans, nous assistons à un rapprochement entre organisations syndicales, politiques et associatives dans le respect de leur spécificité. Pour permettre le sauvetage local d’un service public, il faut une mobilisation citoyenne et celle-ci est grandement facilitée par la création de collectifs regroupant usagers-citoyens, salariés et élus. Les convergences se sont extrêmement renforcées par le développement de coordinations sur la santé, l’eau, le rail… sans oublier notre lutte commune contre le changement de statut de La Poste ! Ajoutons à cela le développement de convergences transversales contre les traités internationaux ou en opposition aux politiques d’austérité.De nombreuses luttes locales ont lieu contre les politiques d’austérité et les fermetures de services publics qu’elles génèrent. Pour regrouper ces combats, quelles sont les difficultés et comment les dépasser ?De nombreuses luttes locales sont menées et parfois remportées. Mais la politique d’austérité entraîne un effet de vases communicants : gagner à un endroit signifie souvent la fermeture à un autre et/ou la remise en cause plus ou moins rapide de la victoire obtenue. La nécessité de globalisation devient donc de plus en plus évidente.Les mobilisations comme celles de Lure ou des Abrets montrent que l’on est en train de dépasser le cadre local (union de nombreux maires et donc des militants et habitants) et d’avoir une dimension transversale, l’exigence globale de services publics. De plus, l’interaction entre services publics apparaît désormais évidente. Comment vouloir qu’une structure ou un professionnel s’implante, par exemple un médecin, dans un secteur sans poste ni école ni hôpital ? De plus, la remunicipalisation de l’eau, avec Paris comme symbole, remet au goût du jour l’idée d’étendre la lutte pour les services publics au-delà de leur périmètre actuel. Il faut agir pour accompagner ce processus et aider à sa structuration.Quels sont les objectifs des deux journées de mobilisation de Guéret ?Un « village des services publics » se tiendra le samedi 13 juin à 10 h avec des débats aux thématiques variées. On pourra prendre contact avec les collectifs et renforcer les convergences entre eux, et entre organisations, afin de croiser les expériences et rompre le sentiment d’isolement. Lors des débats nous espérons avancer sur l’idée du service public comme bien commun, accès aux droits et outil nécessaire à l’égalité femmes-hommes et à la protection de notre environnement.La grande manifestation prévue à 14 h permettra de relancer la mobilisation pour le service public. Le concert du soir ainsi que l’ensemble de la journée sont organisés pour que les militants et les citoyens passent un agréable moment : utile, amical et festif.Le dimanche sera consacré au lancement des Assises du service public du 21e siècle pour bâtir un nouveau projet pour le service public, socle d’une nouvelle démocratie économique et sociale.La convergence regroupe de nombreux collectifs, coordinations, associations, syndicats et partis. Comment construire du commun ?C’est par le dialogue, la prise de conscience de nos différences et de nos convergences, par les combats communs qui en découlent, que nous conjuguerons nos forces. Il ne s’agit pas de nier nos différences, de fusionner mais de converger. Tout simplement. Depuis 10 ans, seul ce processus a été concluant. Il faut rendre le processus de convergence pérenne, ne pas le lier à des échéances électorales, professionnelles ou politiques.L’actuel président de la République avait participé à la manifestation de mars 2005... Aujourd’hui, les attaques sont le fait d’un gouvernement qui se prétend de gauche. Quelles conséquences sur la mobilisation ?Rien de ce que portent ou disent Valls et Macron ne peut être lié à l’histoire du mouvement ouvrier… En 2005, la présence de François Hollande favorable à la Constitution européenne qui accélérait le délitement de nos services publics, a été vécue comme une provocation. Ce n’est pas le secrétaire général du PS qui était visé par les boules de neige mais le responsable de la victoire du Oui au sein du premier parti de la gauche. Les leaders socialistes du Non y étaient les bienvenus tout comme le seront, les 13 et 14, les élus, responsables et militants du PS favorables aux services publics et opposés à la politique d’austérité. Aujourd’hui l’attaque globale sur les services publics, la protection sociale et le code du travail, crée la nécessité d’un large rassemblement. C’est d’ailleurs la raison principale de cet arc de cercle, je crois, sans précédent. Mais il y a bien sûr les difficultés : la mobilisation citoyenne et militante est compliquée car les attaques sont tous azimuts, les défaites légions et sur des fondamentaux tels que le repos hebdomadaire, les prud’hommes, les CHSCT, etc. Il y a de quoi être sonné ! Cela nécessite des luttes permanentes et éparses qui sapent les capacités de mobilisation des organisations nationales. C’est donc déjà une formidable victoire d’avoir trouvé l’énergie d’organiser une telle journée de mobilisation et de lancer le processus des Assises pour un service public du 21e siècle. Et c’est une heureuse surprise de voir que, de toute la France, accourent des militants qui s’organisent en co-voiturage, en car, en train, pour se rendre à Guéret, de Nice, de Grenoble, de Lille, de Quimper, de Tarbes, de Lure, etc.Dans toute l’Europe, les politiques austéritaires remettent en cause les services publics. La Convergence cherche-t-elle à tisser des liens entre les luttes dans différents pays ?Des liens existent via les organisations associées à la Convergence, notamment les organisations syndicales, associatives, politiques et les coordinations qui travaillent avec nous : ainsi, Jean-Claude Chailley, du secrétariat de la Convergence, revient d’une délégation en Grèce pour la Coordination nationale des hôpitaux et maternités de proximité. Nous sommes en contact avec l’EPSU qui soutient Guéret et avec la Marche pour une Europe solidaire et démocratique. Des responsables de Podemos et de Syriza seront présents à Guéret.Il est intéressant de pouvoir croiser les expériences de luttes dans les services publics, analyser l’existant, les expériences menées dans les autres pays d’Europe et du monde. Pour l’instant, les convergences au niveau européen sont sectorielles (eau, rail, poste, santé) et les coordinations s’y attellent. L’actualité, en Grèce comme en Espagne, peut permettre des convergences sur la problématique globale du service public. Cela nécessite du temps, de l’énergie, des militants maniant plusieurs langues… Une affaire de moyens humains et financiers. À Guéret, cette problématique aura toute sa place, tout comme celle de la lutte contre les traités internationaux (Tafta, ACS). Cela sera abordé de manière transverse mais aussi dans un débat spécifique le samedi avec des militants d’autres pays européens.Lors de la journée de dimanche, il nous faudra étudier les modalités de sa prise en charge. Ne pourrait-on pas envisager que la notion de service public soit le socle de la refondation d’un projet européen émancipateur ? Cela nécessite de bâtir un rapport de forces réel pour les services publics dans de nombreux pays, tout en créant en parallèle les conditions de cette convergence. Bref du travail en perspective !
Propos recueillis par Côme Pierron