On ne compte plus les condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme de la France et de sa justice. De la débâcle d’Outreau à la récente réforme de la garde à vue, c’est en vain, et seulement par petites touches, que se font les tentatives d’amélioration.
Toutefois, entre les proclamations et la réalité, il y a un gouffre. La raison en est simple : le budget alloué à la défense des libertés est dérisoire. C’est ainsi que, selon la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), la France est classée au 37e rang (sur 43 pays), derrière l’Azerbaïdjan et l’Arménie…Comment s’étonner alors de trouver sur « le Bon Coin » une cynique annonce du Barreau d’Orléans recherchant désespérément un juge aux affaires familiales ? Et on comprend mieux les raisons d’un rassemblement à Paris le lundi 7 juillet de près de 10 000 avocatEs en robe, pour crier contre ce manque de moyens. C’est que la future réforme de l’aide juridictionnelle va créer une entrave insurmontable au principe de l’égal accès à la justice.
Triple peineL’aide juridictionnelle a vocation à indemniser l’avocat, auxiliaire de justice, de son intervention pour assister les plus démunis. Le montant de cette rétribution, particulièrement dérisoire, n’a pas été revalorisé depuis près de 15 ans. Un seul exemple, l’assistance devant le juge des libertés et de la détention : ce type d’audience permet de déterminer si une détention provisoire en prison s’impose ou si la personne mise en examen conservera le bénéfice de sa liberté. Cette intervention, fondamentale pour sauvegarder la liberté du justiciable, est indemnisée 3 unités de valeur, soit entre 60 et 75 euros selon les Barreaux. Soulignons que ce type d’audience mobilise l’avocat plusieurs heures et n’importe quand, week-ends et jours fériés. Ainsi, les milliers d’avocatEs qui acceptent de travailler pour les plus pauvres, avec l’aide juridictionnelle, le font très souvent à perte...Cette réforme lisserait la rétribution vers le bas et supprimerait les modulations de tarifs selon les Barreaux, soit selon notre exemple, environ 63 euros au lieu de 75. Et pour financer ce système, il est envisagé la création d’une taxe sur le chiffre d’affaire des avocats ! Et cela plutôt que, par exemple, d’imposer aux compagnies d’assurance de mettre en œuvre une protection juridique étendue, ou de taxer les flux financiers des banques et assurances.En définitive, c’est donc une triple peine pour les avocatEs : un travail à perte, une indemnisation dérisoire et un financement du système par une taxe sur la profession. En bout de chaîne, les plus pauvres des justiciables seront les plus grands perdants, puisque les avocatEs pouvant continuer à être indemnisés par ce système seront en voie d’extinction. Sans avocatEs pour les plus fragiles et les plus démunis, le bon vieux système dénoncé par La Fontaine a de beaux jours devant lui : « Selon que vous serez puissant et misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »...
Mehdi Locatelli (Avocat au barreau de l’Eure)