Depuis plusieurs semaines, de nombreux secteurs se mobilisent contre les politiques du gouvernement. Le 11 avril dernier, ce sont 5000 avocatEs qui ont défilé à Paris pour marquer leur opposition au projet de réforme de la justice. Retour sur les raisons de la colère.
Jour d’inauguration… et déjà de polémiques ! Le lundi 16 avril, le nouveau Palais de justice de Paris, tour de 38 étages d’une hauteur de 160 mètres, a ouvert ses portes à la porte de Clichy, dans le 17e arrondissement. La nouvelle n’a pas fait que des heureux. Ainsi le Conseil national des barreaux (représentation professionnelle des avocatEs à l’échelle nationale) a vigoureusement protesté.
« Atteinte intolérable à la présomption d’innocence »
Dans une lettre ouverte, datée du vendredi 13 avril, le Conseil a demandé à la ministre de la Justice macronienne, Nicole Belloubet, qu’elle ordonne immédiatement la désinstallation des nouveaux box, qualifiés de « cages de verre », placés dans les salles d’audience correctionnelle. Le Conseil national des barreaux écrit ainsi : « Ces box vitrés, dans lesquels le prévenu est isolé, stigmatisé, éloigné de son avocat, sont une atteinte intolérable à la présomption d’innocence et aux droits de la défense. »
À la fin de l’année 2017, la ministre avait pris l’engagement de suspendre la construction de telles cages en verre dans les tribunaux. On constate toutefois qu’elles ont finalement été réalisées, au moins dans le nouveau Palais de justice parisien, mais aussi dans celui de Fort-de-France, à la Martinique. Ce n’est d’ailleurs pas le seul élément architectural du nouveau bâtiment parisien, surplombant désormais la place des Batignolles, qui semble poser problème. Ce dernier apparaît comme la réalisation d’un rêve technocratique, placé sous le signe du « tout fonctionnel », mais parfois clairement au détriment du bien-être des personnels ou du public. À titre d’exemple, le service des mineurs – où défilent les mineurEs isolés en situation de migration pour faire valoir leurs droits –, jusqu’ici placé dans une pièce ensoleillée près du grand escalier de l’ancien Palais de justice à Paris, se trouve désormais dans une pièce sans fenêtres, sans vue sur l’extérieur, sous forme d’une bulle. Il aurait été possible d’aménager des locaux moins anxiogènes…
Contre les « déserts judiciaires »
Ces protestations s’inscrivent dans un contexte plus global de contestation des politiques gouvernementales. Le Conseil national des barreaux et d’autres organisations professionnelles, dont le SAF (Syndicat des avocats de France) avaient ainsi appelé à manifester le 11 avril à Paris. Au moins 5 000 avocatEs venus de tout le pays ont ainsi défilé de la place du Châtelet jusqu’au siège du ministère de la Justice, place Vendôme. La place avait d’ailleurs été interdite aux manifestantEs, qui ont cependant pu finalement y accéder. L’objet de leur protestation concernait le projet de loi sur la « réforme de la justice », contre lequel le barreau (la représentation des avocatEs) de la Seine-Saint-Denis avait d’ailleurs lancé une grève, le 20 mars dernier. Une grève qui s’exprime par le refus des missions assurées habituellement par les avocatEs au titre du service public de la justice, notamment en tant que « commis d’office ».
Qu’est-il reproché au projet de loi ? D’abord de créer, au nom de la recherche d’économies budgétaires – rengaine bien connue dans d’autres secteurs –, de véritables « déserts judiciaires » dans des villes de taille modeste ou moyenne, en fermant et/ou regroupant des tribunaux. Les « tribunaux de proximité » ont d’ailleurs déjà disparu depuis le 1er juillet 2017, qui formaient jusque-là une juridiction spécifique pour les litiges (conflits) de faible valeur monétaire et qui privilégiaient la conciliation là où elle était possible. À titre d’exemple, la justice de proximité traitait les demandes d’indemnisation pour retard ou annulation de vols, dans les compagnies aériennes, et les demandeurEs en sortaient souvent avec un chèque. À l’avenir, il faudra saisir un tribunal « ordinaire », avec des procédures un peu plus lourdes et davantage d’éloignement.
Automatisation des procédures
Certaines procédures sont en outre « automatisées » et enlevées des mains des juges. La fixation d’une pension alimentaire, par exemple, ne relèvera plus des juges – qui ont jusqu’ici la possibilité de tenir compte de situations individuelles –, mais sera traitée par la CAF, dans le cadre d’une procédure standardisée. La victime d’une infraction qui, jusqu’ici, pouvait se constituer partie civile au bout de trois mois d’inaction du parquet (procureurs) devra, à l’avenir, attendre six mois. Enfin, sur le volet concernant la justice pénale, le projet de loi étend les cas de recours aux témoignages sous pseudonyme (l’identité n’étant pas révélée) aux écoutes téléphoniques et à la géolocalisation.
N’oublions pas de préciser que le projet de loi « Asile et Immigration », actuellement en débat, aura également des conséquences en matière d’accès à la justice, notamment à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) basée à Montreuil. Le délai de recours devant la Cour passant selon le projet de loi d’un mois à quinze jours, de nombreux réfugiéEs seront finalement privés du droit au recours. Ce dernier deviendra non suspensif – et ne protégera plus contre un éloignement forcé vers le pays d’origine – pour plusieurs catégories de demandeurEs d’asile.
Bertold du Ryon