Après avoir essuyé plusieurs revers politiques sur la question cette année (sur l'islamo-gauchisme à l’école et à l’université par exemple), le ministre de l’Éducation Blanquer, ainsi que la ministre déléguée à l’Intégration M. Schiappa, voulaient reprendre le fil de leur instrumentalisation du thème de la laïcité. C’est chose faite avec le lancement d'une campagne d’affichage plus que malaisante dans les établissements scolaires à la rentrée.
Les affiches présentent des enfants identifiables seulement par leur visage et leur prénom. Elles indiquent que la laïcité leur permettrait d’obtenir les mêmes chances de faire des choses parfois assez banales : « Permettre à Sacha et Neissa d'être dans le même bain. C'est ça la laïcité », « Permettre à Milhan et Aliyah de rire des mêmes histoires. C'est ça la laïcité », etc. À première vue, on ne comprend pas bien ce que vient faire le thème de laïcité dans cette histoire, puisqu’il n'est fait mention de la religion que sur une affiche sur laquelle est marqué : « Donner le même enseignement à Romane, Elyjah et Alex, quelles que soient leurs croyances » Le reste n’est qu’injonctions abstraites à l’égalité et à la diversité dont on ne comprend pas directement par quoi elles seraient menacées par des quelconques manquements à la laïcité.
« C’est ça la laïcité » ou « C’est ça les musulmans » ?
Le recours à des prénoms « connotés », articulés aux apparences physiques des personnes, exprime la volonté de mise en scène d’individus racisés dans ces messages. Face au tollé provoqué par le dévoilement des affiches, le ministre Blanquer explique que la laïcité c’est le « vivre ensemble » et qu’il n'aurait pas fait attention aux couleurs de peau des enfants sur les affiches. Il s’agit bien entendu d’un mensonge grossier de la part du ministre : avec cette campagne, il indique clairement sous forme de clin d’œil ce que le gouvernement considère être une menace pour la société — l’islam, et plus généralement les populations racisées — et liste des actions et comportements vus comme des problèmes de pour le « vivre ensemble ». Exemple avec l’affiche concernant Sacha et Neissa qui sont « dans le même bain » : cette affiche sous-entendrait-elle que Neissa ne pourrait pas y être si elle voulait porter un burkini ? Ou que tout simplement, sans la « laïcité », elle aurait toujours refusé d’aller se baigner ? Comme le souligne la sociologue Kaoutar Harchi dans un tweet en réaction à cette campagne : « C’est le racisme anti-musulman qui est constitué comme source d’inspiration de la construction d’une campagne publique. Un racisme qui fait état de ce que l’État sait des "musulmans" et de ce que la population doit en savoir à son tour. C’est fascinant de constater à quel point le discours sur la laïcité produit ce qu’on pourrait appeler un racisme en pli. Il suffit de déplier l’image comme on déplie un bout de papier et en une fraction de seconde on lit le véritable message : "C’est ça les musulmans." »
Laïcité ou sinistre propagande ?
La France a une longue tradition « intégrationniste », qui permet de reporter l’accusation de racisme sur les personnes qui en sont victimes car elles ne souhaiteraient pas vivre avec tout le monde et surtout comme tout le monde. Les injonctions à la « diversité » sont le pendant des accusations en « communautarisme ». Il est évident que malgré les efforts « d’intégration » des populations racisées, celles-ci subissent toujours autant le racisme à tous les plans (économique, politique et idéologique) ce qui rend cette campagne et la négation par le ministre d’un quelconque biais racial encore plus abjecte.
Le concept de laïcité renvoie historiquement à la séparation de l'Église et de l’État : l'État devient neutre — ne favorise pas une religion plutôt qu’une autre — et permet le libre culte et la libre croyance de toute personne. Longtemps fer de lance de la gauche contre l’Église catholique, la laïcité à la française a montré dans l’histoire qu’elle restait quand même adossé à un État capitaliste, bourgeois, colonial et raciste, et ces concepts se sont au fil des années mêlés avec un athéisme d’État forcé pour les populations subalternes, en passant peu à peu d’une obligation de neutralité des dépositaires de l’autorité publique à une obligation de neutralité de touTEs les citoyenEs, en particuliers en tant qu’usagerEs des services publics. Dans l’Éducation nationale, on passe par exemple de la neutralité des enseignantEs à celle des élèves. Il faut faire preuve de beaucoup d’hypocrisie pour défendre la laïcité telle qu'elle est défendue par Blanquer, Schiappa et compagnie, quand la France est l’un des seuls pays à légiférer (ici via l’interdiction) sur le port du foulard.
Quelle que soit la signification qu'on met derrière le terme de laïcité, cette campagne d'affichage est raciste, et, derrière les parures des « valeurs de la République », elle s'inscrit dans un climat nauséabond de suspicion largement entretenu par le gouvernement. Au-delà de Sud Éducation qui s’est déjà exprimé, l’ensemble des syndicats de l'Éducation nationale devraient condamner fermement cette sinistre propagande dans tous les établissements où ils sont présents.