Les médias, le gouvernement même, sont angoissés : la grande CGT serait menacée de paralysie par le débat sur la succession de Bernard Thibault à la tête de la principale centrale syndicale. Pourtant la grande majorité des militantEs CGT sont partagés entre indifférence, étonnement et agacement. En tout cas, nullement perturbés dans leur activité militante quotidienne dans l’entreprise ou le service. Ce que révèle ou met en lumière cette cacophonie au sommet de la CGT, c’est tout d’abord la réalité du fonctionnement bureaucratique d’une telle direction, dont personne ne semble comprendre les motivations, les enjeux. Le secrétaire général sait et décideLe premier étonnement vient de l’acharnement de Thibault à imposer son choix personnel pour sa succession. La prise de distance bureaucratique de la direction de la centrale atteint aujourd’hui un stade extrême. La ligne politique et les choix imposés par Thibault sont plus le résultat des cogitations de groupes de conseillers, d’experts largement autonomes des structures officielles. Et, fort de cette « expertise », Thibault est convaincu de sa capacité à imposer ses choix, coûte que coûte. Pourtant, déjà lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) de 2005, de nombreuses structures intermédiaires (unions départementales, fédérations) avaient traduit la volonté des militantEs. Elles avaient imposé un rejet du traité contre l’avis du lobby confédéral animé par Decaillon (secrétaire de la Confédération européenne des syndicats et ancien responsable des questions internationales de la CGT) et Daniel Retureau (membre du Comité économique et social de l’Union européenne et représentant de la CGT au Bureau international). La rancune tenace contre un Aubin responsable d’une fédération qui s’était opposée au TCE, au projet de réorganisation de la CGT et à l’accord sur la représentativité, et la volonté d’imposer une femme à la direction sont des explications complémentaires de cet acharnement.
La prise de distance vis-à-vis des instances est favorisée par la fin de l’hégémonie du PCF sur l’appareil de la CGT. Largement extérieur aux entreprises en tant qu’organisation politique, divisé, fracturé sur de nombreuses questions décisives, le PCF est aujourd’hui incapable d’imposer orientations et dirigeants à la confédé. Des conflits de ce genre se réglaient précédemment au sein du Bureau politique du PCF en laissant peu de place à des bavures. Les experts autour de Thibault sont plus polarisés par le PS et de ce fait en opposition avec les directions des fédérations plus « traditionnelles » (bâtiment, chimie, agro...). Des transformations à fort enjeu politiqueAinsi, c’est l’organisation de la CGT comme conséquence d’une orientation politique qui tend à la rapprocher de la CFDT qui fournit le fond des affrontements actuels concernant la succession de Thibault. Le projet de réorganisation mis en route depuis 2006 comporte deux axes importants. D’une part, au niveau territorial, l’affaiblissement des unions locales et leur relative indépendance politique les placent dans le collimateur de la confédé. Plusieurs pistes : disparition pure et simple, regroupement régional, remplacement par des syndicats de sites, de zone ou mise sous tutelle des unions départementales. Celles-ci étant elles-mêmes chapeautées par des unions régionales mieux contrôlées par la confédé. De l’autre, le regroupement des fédérations, aujourd’hui une trentaine, en seulement une dizaine autour de champs professionnels plus ou moins larges, de l’industrie aux services publics en passant par la communication. Cela signifie la mise en place de grosses structures encore plus bureaucratisées et mieux contrôlées par la confédé en même temps que la rationalisation des appareils, c’est-à-dire la suppression de dizaines de postes de responsables et de salariéEs.
Après la laborieuse mise en place du nouveau système de cotisation (Cogetise), cette réorganisation, lancée depuis 2004 est bien le principal enjeu des batailles qui se mènent au sein de l’appareil. Aubin, issu d’une fédération « traditionnelle », apparaît comme le moins centralisateur, le moins « confédéraliste », alors que Prigent et Naton, plus proches de Thibault, semblent porter une vision plus interventionniste de la confédé. La cristallisation du débat sur des personnes ne doit pas laisser penser que le fond politique est absent. Malheureusement les syndiquéEs prétendument acteurs et décideurs sont mis à l’écart sur la forme comme sur le fond.
Robert Pelletier