Il y a plus d’un siècle (en 1906), le romancier américain Upton Sinclair publiait la Jungle, livre où il décrivait les abattoirs de Chicago : exploitation sans limite des travailleurs, conditions d’hygiène déplorables… et puissance cynique du grand capital. Aujourd’hui, les abattoirs restent un lieu particulier : « Nous vivons cachés du monde du dehors. Dans une bulle », explique Stéphane Geoffroy, ouvrier depuis 25 ans dans la « tuerie » d’un abattoir près de Rennes et auteur d’un livre paru récemment (À l’abattoir, collection Raconter la vie, Seuil, 2016, 7,90 euros). Il raconte son travail quotidien, les cadences, les collègues et la peur d’arriver à la retraite « en fauteuil roulant » (il a déjà été opéré quatre fois pour des TMS...).
Le scandale qui vient d’être révélé aux États-Unis par l’ONG Oxfam (des salariés d’abattoirs empêchés d’aller aux toilettes, voire contraints de porter des couches culottes) constitue certes un cas extrême, mais il n’en demeure pas moins que les travailleurs des abattoirs, qui accomplissent un travail socialement utile (sauf à imaginer une société entièrement végétarienne), sont une des fractions les plus exploitées de la classe ouvrière. Les conditions de travail, les bas salaires, s’ajoutent au fait qu’il n’est psychologiquement pas facile de tuer des animaux ou de manipuler des morceaux de chair tout au long de la journée. La Jungle fit scandale en 1906 et déclencha un mouvement d’opinion, mais Upton Sinclair regretta qu’il ait eu plus d’effets sur la réglementation de l’hygiène des abattoirs que sur celle des conditions de travail.
Dans les société traditionnelles, l’abattage des animaux était souvent intégré au cycle normal d’activité. Il peut en rester des survivances. Mais, dans l’industrie capitaliste de la viande, souffrance des animaux et souffrance des travailleurs ne sont que des données économiques pour un patronat qui n’accorde pas plus d’importance aux unes qu’aux autres...