« L’acceptation d’une logique de dialogue social et civil, de partenariat et de gouvernance, réduit le salariat à un groupe d’individus ayant en commun une forme juridique d’emploi. Le dialogue et le partenariat sont porteurs d’une idéologie consensualiste incompatible avec la reconnaissance d’intérêt de classe du salariat ». Jean-Pascal Higelé, « Les Formes de la délibération interprofessionnelle. Le sens du dialogue », Sociétés contemporaines, 2012, n° 86.
La nomination le 13 juillet de Maryline Poulain, ancienne responsable confédérale CGT sur l’immigration, comme préfète pour l’égalité des chances auprès de la préfète du Bas-Rhin illustre une nouvelle fois les dangers de l’immersion dans les relations avec le pouvoir politique et/ou le patronat. Certes, ce n’est pas la première fois qu’une telle dérive est pointée en France. En mars 2001, Lydia Brovelli, secrétaire confédérale de la CGT de 1982 à 2001, était nommée conseillère sociale à l’ambassade de France au Sénégal. Jacques Chérèque (père de François...), secrétaire général de la fédération générale de la Métallurgie CFDT en 1971, secrétaire général adjoint de la CFDT en 1979, est nommé en 1984 par Fabius et Mitterrand préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine. Pour ces deux dernierEs, les nominations sous des gouvernements de « gauche » viennent compléter les nombreux « transferts » de responsables syndicaux, essentiellement CFDT, en experts du pouvoir, sous ces mêmes gouvernements.
Du dialogue social
Si les prémices du dialogue social sont issus des accords de Matignon de 1936, c’est avec les accords post-Seconde Guerre mondiale que sont mises en place les décisives structures organisant les « concertations » entre « partenaires sociaux ». « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », selon l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946).
La multiplication des domaines et des moyens affectés au dialogue social va largement transformer les organisations syndicales et leur environnement et développer leur dépendance à l’État, voire à certaines structures patronales. Multiplication des « négociateurs » dans les diverses instances, des permanents, développement de structures d’expertises (juridiques, économiques, santé-sécurité au travail...).
Les propensions à signer de l’ensemble des organisations sont très stables avec les déléguéEs CFDT qui signent le plus fréquemment des accords ou avenants (94 % des accords signés dans les entités où ils sont présents), suivi par la CFE-CGC, la CFTC et FO qui signent autour de neuf accords ou avenants sur dix. La CGT est un peu en dessous avec 84 % de signatures.
Et de son actualité
Dans le temps de la mobilisation contre la réforme des retraites cette année, une partie de l’intersyndicale a participé, en parallèle, à des négociations d’accords importants. CGT, CFDT, CFE-CGC, FO et CFTC ont signé l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles finalisé le 16 mai. Cet accord national interprofessionnel vient s’ajouter à deux textes finalisés à quelques semaines d’intervalle. L’un, le 10 février, concerne le « partage de la valeur » et promeut des mécanismes (intéressement, participation, etc.) qui visent à étoffer la rémunération des salariéEs. Il a été entériné par l’ensemble du patronat avec le seul refus de la CGT. L’autre « deal », du 11 avril, entend encourager les bonnes et pratiques en matière de transition écologique validé par les organisations patronales et les seules CFDT et CFTC.
Tournons la page de l’affrontement sur les retraites ?
Une logique dans laquelle s’inscrit la dernière rencontre entre les directions syndicales et la Première ministre. La CGT a ressenti un « frémissement d’autonomie » d’Élisabeth Borne « face au patronat ». Une « réunion utile » pour la CFDT, une journée « normale dans le cadre de la négociation collective » pour FO et qui « va dans le sens de renouer les fils du dialogue social » pour la CFTC qui vise à « remettre en responsabilité les partenaires sociaux » pour la CGC, qui « répond tout à fait aux attentes, à la philosophie et aux propositions qu’a faites le Medef depuis plusieurs mois » pour le Medef. Et certainement pas aux intérêts des travailleurEs, chômeurEs.