Le NPA Douarnenez (Finistère) était présent samedi 6 mai de bonne heure aux côtés du collectif Sémaphore pour accueillir chaleureusement les croisiéristes du paquebot SilverWind au port du Rosmeur. On vous explique pourquoi et pourquoi on recommence le 21 mai.
Construit en 1995 pour 300 passagers et autant de membres d’équipage, ce paquebot a vu sa coque plus tard doublée pour affronter les glaces de l’Antarctique. Durant l’été austral, ce navire propose cyniquement à de riches passagers faire des selfies devant les derniers glaciers. Outre l’aberration écologique, l’affluence chaque année plus importante crée aussi de réels problèmes de sécurité. En 2019, une avarie sur un navire de la compagnie du Ponant fut à l’origine d’un incendie, obligeant l’évacuation du navire dans des mers dangereuses et glacées, à des milliers de kilomètres de moyens de sauvetage et d’hôpitaux.
Tourisme de luxe des glaciers au littoral du Finistère
Au printemps, en remontant vers le Grand Nord, ces paquebots en profitent pour proposer des croisières européennes. Le SilverWind proposait alors une croisière Lisbonne-Londres pour la modique somme de 1000 euros parjour. FlattéEs de faire partie d’une de leurs quatre escales bretonnes, les Douarnenistes se sont donc organiséEs pour leur préparer un comité d’accueil. Environ une soixantaine de personnes se sont rassembléEs sur la jetée du Rosmeur autour de 8h30 le samedi 6 mai. Quand vers 10h un tender (embarcation permettant le transbordage du paquebot au ponton) chargé de touristes fortunéEs a débarqué sa cargaison (une trentaine de touristes), la petite dizaine de militaires de la maréchaussée présente n’a pu ouvrir un passage dans la foule déterminée et solidaire. Le tender est donc reparti comme il était venu, remportant les touristes dans leur palais flottant, sous les hourras de la foule.
Rapidement les manifestantEs quittent le quai. France 3 Bretagne arrive après la bataille mais peut interviewer une touriste australienne ayant débarqué plus tôt avec un autre groupe, qui ne comprend visiblement pas ce qui lui est reproché. Ces images font l’ouverture du JT régional et national de France 3 de 19h, et sont reprises dans l’émission C ce soir sur France 5 le lundi.
Les avis sont partagés sur l’industrie de la croisière
Depuis le débat fait rage à Douarnenez. La presse quotidienne régionale relaie le mécontentement des commerçantEs vexéEs de n’avoir pas vendu leurs cartes postales et leurs jambon-beurre et les multiples sorties de Madame la Maire, Jocelyne Poitevin, dénonçant un scandale causé par des extrémistes. Les réseaux sociaux se remplissent de commentaires insultant « les zadistes anti-tout ». Inquiets des menaces dont iels sont déjà victimes, les membres du collectif Sémaphore n’ont pas voulu prendre la parole publiquement depuis. Des interviews auront lieu avec la presse écrite régionale et nationale.
Il semble important que notre camp défende publiquement nos arguments. Si les émissions de GES et la pollution des eaux de la baie de Douarnenez ou de l’Antarctique sont une part importante du problème que nous dénonçons, il semble tout aussi important de souligner l’enjeu de lutte de classes que soulève la mise en tourisme de Douarnenez et plus largement du littoral. La volonté politique des éluEs locaux d’attirer une clientèle fortunée pour un tourisme de luxe est contraire à notre vision pour la ville littorale. Nous souhaitons une ville ouverte aux vacanciers populaires, aux colonies de vacances pour les enfants des villes. La mise en tourisme de la ville provoque également une crise du logement à laquelle nous répondons par l’articulation de nos luttes1.
Comme dans d’autres villes ou littoraux touristiques, l’industrie de la croisière arrive d’abord doucement par quelques petits bateaux, puis rapidement ceux-ci se multiplient et deviennent de plus en plus gros. Les cas de Marseille, Ajaccio, Barcelone, Venise, le Monténégro et ailleurs doivent nous ouvrir les yeux et nous inciter à rejoindre la lutte qu’iels ont déjà engagée.
Contre-vérités écologiques et économiques
La polémique qui secoue la ville est révélatrice du travail de conviction que nous devons mener. Le clivage caricatural entre habitants récemment installés, politisés ou militants, souvent considérés comme fauteurs de troubles, et finistériens natifs conservateurs illustre aussi une dérive identitaire que l’on retrouve à l’échelle nationale. Il dévoile surtout une insuffisance stratégique de nos réseaux militants locaux qui ne parviennent pas à se faire entendre du plus grand nombre. Mauvaise foi et contre-vérités écologiques et économiques infusent l’opinion publique. Ceci nous rappelle l’importance d’engager le débat sur les lieux de travail, les associations, dans la rue et les quartiers, pour rencontrer plus largement en dehors des cercles militants.
Après les nombreux soutiens reçus depuis le 6 mai, le collectif Sémaphore a décidé de préparer un nouveau rassemblement pour la venue du prochain paquebot le dimanche 21 mai. La dynamique et la mobilisation dans le contexte social doivent nous permettre de rassembler le plus largement possible pour que nous soyons nombreusEs à proposer une alternative au projet mortifère capitaliste.
- 1. Collectif Droit à la ville Douarnenez, Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires, préface de Mickaël Correia, éditions du Commun, 2023.