Publié le Jeudi 11 mars 2010 à 11h21.

Ed en lutte

Laurent Di Pasquale est salarié du magasin Ed de Colombes (Hauts-de-Seine), délégué syndical CGT et militant au NPA. Il a participé à une grève illimitée début février contre le passage en statut de location-gérance.

Quelles sont les raisons de la grève ?

L'enseigne Ed, qui appartient au groupe Carrefour, revend ses magasins en location-gérance pour accroitre toujours plus ses bénéfices. Autrement dit, un propriétaire indépendant reprend le magasin en gardant le nom d'enseigne, et reverse chaque mois un loyer. Les salariés sont les grands perdants, avec la perte des maigres acquis sociaux existants : le treizième mois, la prime d'interessement, la prime de participation, les tickets restaurants, la perspective d'évolution professionnelle... Le seul acquis préservé est le salaire, égal au Smic ou à peine plus. À Ed, ce sont surtout les primes qui sont intéressantes, le salaire est très bas.

Les salariés ne peuvent légalement pas refuser d'être vendus. La direction ne nous a avertis qu'une fois le contrat de location signé, c'est un véritable manque de respect, on est vendus comme du bétail. C'est pour cela que nous sommes partis en grève, pour obtenir notre réintégration dans le groupe Carrefour, pour maintenir nos acquis sociaux.

Comment avez vous organisé votre grève, comment vous-êtes vous adressés aux autres salariés ?

À l'origine, un premier appel à la grève avait été lancé le 21 janvier à l'initiative de la CGT, contre le projet de la direction d'Ed de mise en location gérance d'un tiers des magasin parisiens en 2010. Seuls trois magasins avaient débrayé. Le 22 janvier, les salariés du magasin d'Évry, menacé de mise en location-gérance, partaient en grève illimitée à l'initiative du syndicat SUD Commerce. La direction a été prise de court, des menaces ont été proférées à l'encontre des grévistes, ceux-ci devaient remettre les clefs du magasin sous peine de poursuites. Heureusement, ils ne se sont pas laissés intimider. La direction a alors dû faire appel à un serrurier en urgence pour accéder au magasin et au coffre.

Sur Colombes, nous étions également menacés par la mise en location-gérance. Nous sommes partis en grève illimitée le 30 janvier, inspirés par la lutte en cours à Évry. Nous étions trois salariés mobilisés sur les cinq employés. Malheureusement, le chef de magasin ne nous a pas suivis, et le magasin est resté ouvert avec des salariés appelés en dépannage.

Chaque week-end, nous avons tenu un piquet de grève devant le magasin. Nous avons rapidement mis en place une caisse de solidarité afin de recolter des fonds auprés des clients et des passants, qui ont fait preuve d'une solidarité importante avec notre lutte. Plusieurs organisations syndicales et politiques ont assuré un soutien financier important. Tout cela n'a fait que renforcer notre détermination. Mais cela n'etait pas suffisant, il fallait tenter d'elargir la grève afin de construire le rapport de forces. Nous avons rencontrés les grévistes d'Évry afin de nous coordonner, puis nous avons organisé des tournées sur les magasins de l'enseigne, en distribuant aux salariés un tract que nous avions rédigés appellant à nous rejoindre dans la grève. Ces tracts ont été très bien accueillis par nos collègues. Dans le secteur du commerce, la grève n'est pas une tradition ancrée. Beaucoup de salariés rencontrés nous ont dit qu'ils ignoraient même qu'ils disposaient du droit de grève dans l'entreprise.

Quel bilan tires-tu de la grève ?

Notre lutte n'aura débouché que sur une victoire partielle, avec une réintégration dans l'enseigne et deux négociations de licenciement avec la direction. Si d'un point de vue matériel le bilan est mitigé, d'un point de vue moral, la victoire est totale. Mes collègues de travail qui participaient à leur premier mouvement de grève ont fait l'apprentissage de la lutte, ont appris à prendre la parole en public, ont pris une part active dans l'organisation de la grève.

En tant qu'anticapitaliste, cela peut paraître décevant de ne pas avoir réussi à maintenir l'emploi et de devoir négocier des primes de licenciement. Mais nous avons démontrés que nous n'étions pas des moins que rien, que nous pouvions rester debout, que nous refusions d'être vendus comme du bétail. Rien que ça, c'est déjà une victoire d'être restés debout et d'avoir fait grève, et ce sera un point d'appui pour l'avenir.