Hôpitaux, EHPAD, universités, lycées, travail social, SNCF… Les mobilisations se multiplient depuis le début du mois de janvier, dans les services publics mais aussi dans le privé, comme à Carrefour, Pimkie et bientôt Air France. Fait notable, des victoires ont été remportées au cours des dernières semaines, qui tendent à démontrer à qui l’aurait oublié que la lutte paie et que ni le patronat ni le gouvernement ne sont invincibles.
Il y a bien sûr eu la victoire des salariéEs du nettoyage des gares de Paris-Nord contre le géant ONET, véritable exemple de détermination et de construction de réseaux de solidarité. Plus récemment, ce sont les grévistes de l’Holiday Inn de Clichy qui ont obtenu satisfaction sur l’essentiel de leurs revendications après 111 jours de grève (voir page 9). Et l’on n’oublie pas, évidemment, la formidable victoire de Notre-Dame-des-Landes, après des décennies de lutte, dignement célébrée le week-end dernier à l’occasion d’un grand rassemblement dans la Zad (voir page 4).
Ces victoires ont un point commun : elles ont été obtenues suite à des bagarres de longue haleine, dans des cadres de mobilisation unitaires, et ont bénéficié d’un important soutien, au-delà des premiers acteurEs de la lutte. Cela constitue un indicateur important de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui : la colère et la combativité sont là, les victoires sont possibles, mais elles passent par la construction d’un rapport de forces à la hauteur de la détermination des classes dominantes à imposer leurs politiques antisociales. « Ils ne s’arrêteront que si nous les arrêtons », pouvait-on lire sur certaines banderoles lors des récentes manifestations : rien n’est plus vrai dans une période de crise prolongée du capitalisme où les premiers responsables de la crise sont résolus à faire payer celles et ceux qui n’en sont pas responsables, à savoir la majorité de la population, tout en continuant de se gaver de profits, de dividendes, d’exonérations fiscales et autres privilèges de riches.
Changement de climat social
Les projets du gouvernement Macron-Philippe concernant les services publics et la fonction publique (voir pages 6-7) s’inscrivent dans cette logique : il s’agit une fois de plus, au nom des « économies nécessaires », de s’en prendre à des garanties collectives conquises de haute lutte par nos aînéEs, qu’il s’agisse du statut de fonctionnaire ou des missions de service public. Et lorsque l’on constate aujourd’hui l’état de délabrement de nombreux services publics et la dégradation des conditions de travail des personnels – et des conditions d’accueil des usagerEs, on imagine sans peine la catastrophe que représenterait l’aboutissement des ambitions « réformatrices » de Macron. Des ambitions qui se heurtent aujourd’hui toutefois à de plus en plus de contestation, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.
Depuis son élection, malgré la mobilisation contre les ordonnances, Macron pouvait en effet se targuer de rencontrer peu de résistances et affirmer avec le mépris qui le caractérise que sa politique antisociale recueillait un assentiment majoritaire dans la population. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, avec les nombreuses luttes qui se développent, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, contre la répression et la chasse aux migrantEs, ou face aux effets des ordonnances, en premier lieu les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Des mobilisations qui, si elles contribuent à changer le climat social et à redonner des perspectives de lutte, ne sont malheureusement pas encore à la hauteur des enjeux. Car Macron et ses sbires ont un véritable projet de société : se débarrasser de toute forme de garanties collectives, de mécanismes de solidarité, imposer une société de la concurrence généralisée entre les individus, priver les travailleurEs de tout moyen de s’opposer à l’État et au patronat.
Construire et étendre les mobilisations
Face à un tel projet, c’est une mobilisation d’ampleur qu’il s’agit de construire, non seulement en développant les luttes là où elles existent déjà, car elles pourraient obtenir des victoires partielles et donner de bonnes idées à d’autres secteurs, mais aussi en défendant la perspective d’une opposition d’ensemble au projet global de Macron. En cette année cinquantenaire de mai 1968 (voir page 12), il est en effet indispensable de se souvenir que les grandes mobilisations, et les grandes victoires n’ont jamais été obtenues par la simple addition de mobilisations partielles et sectorielles, ni par des « journées d’action » espacées dans le temps, mais pas davantage par des appels abstraits à la « mobilisation générale ».
La colère et la combativité sont là, et des victoires sont possibles. Mais elles ne pourront faire l’économie d’une stratégie de construction alliant recherche de l’unité d’action, développement des cadres d’auto-organisation et défense de la perspective d’un mouvement d’ensemble, seul à même de poser la question du blocage du pays, et donc d’un rapport de forces suffisamment conséquent pour stopper Macron pour de bon.
Julien Salingue