Après avoir déclaré en septembre que le statut des fonctionnaires n’était « plus justifiable », Emmanuel Macron s’est déclaré mardi 10 novembre favorable à un salaire dépendant plus du mérite. Même s’il s’est fait rembarrer, Macron dit en fait ce que beaucoup de membres du gouvernement pensent tout bas.
Les garanties dont bénéficient les fonctionnaires sont encore réelles mais pas si élevées que ne le martèle une certaine propagande : ainsi, la logique du mérite existe déjà.
Des salaires bloqués
L’avancement des carrières et d’une partie des salaires des fonctionnaires dépend en effet déjà d’un système de bonification et de primes diverses liées aux notes obtenues par les agents lors d’entretiens avec leur hiérarchie.Quant au salaire de base, il dépend de la valeur du point d’indice, bloquée depuis 5 ans et qui augmentait auparavant de façon ralentie. De 1995 à 2010, la valeur du point a ainsi progressé de 13 % avant d’être gelée... alors que sur la période allant de 1995 à 2015, l’inflation a atteint 35 %. Le calcul est simple : une perte de 22 % de pouvoir d’achat en 20 ans. Heureusement que l’ancienneté permet de limiter le choc.Il est à remarquer que les fonctionnaires « de base », les catégories C et B, en subissent particulièrement les conséquences, car les fonctionnaires de catégorie A ont des déroulements de carrière plus longs (et certains ont été, dans les années récentes, favorisés par la création d’échelons terminaux supplémentaires) et, à l’exception des enseignantEs, touchent des primes plus importantes.
Un statut toujours plus contourné
La dénonciation des fonctionnaires est un des grands classiques, avec comme fonction de diviser les salariéEs. Droite et libéraux s’opposent ainsi aux garanties que leur statut offre encore aux fonctionnaires. La doctrine de la droite a été élaborée en 1979 dans un rapport de Gérard Longuet. Celui-ci proposait de faire disparaître le statut en distinguant entre deux catégories d’agents. D’une part, les hauts fonctionnaires et ceux chargés de missions « régaliennes » (justice, police, armée,…) qui continueraient à bénéficier d’un statut. D’autre part, la grande majorité des agents publics qui seraient gérés de manière très fluide par des agences les recrutant sur la base de conventions collectives. Tous les gouvernements français ont jusqu’à présent reculé devant une telle réforme que certains pays européens ont cependant réalisée (la Suède, par exemple).La tactique choisie en France est celle du contournement et du grignotage. Actuellement 17 % des 5,4 millions des personnes travaillant dans les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales, hôpitaux) sont des contractuels. Leur nombre a progressé de 25 % entre 2002 et 2013, surtout dans la territoriale (+ 29 %) et dans les hôpitaux (+ 53 %). Les situations dérogatoires au statut se multiplient donc : contractuels, mais aussi vacataires, voire intérimaires. À cela s’ajoutent une série d’attaques « de biais » sur les mobilités, et cela au moyen de la réforme territoriale.
Des agents méprisés
Dans le même temps, dans les services, du fait de l’insuffisance des postes et des suppressions (sauf dans les administrations « sécuritaires »...), le « mal être au travail » s’accroît. Et c’est encore plus le cas pour les services où les agents sont confrontés à des personnes en situation de détresse du fait de la crise ou de problèmes personnels. L’État taille dans les dépenses ? Aux agents de terrain de gérer les contradictions sociales...Dans une interview donnée il y a plus de 20 ans (en 1993), le sociologue Pierre Bourdieu, qui s’est résolument rangé du côté des travailleurs lors des grandes grèves de 1995, parlait des « membres patentés de la grande noblesse d’État, les énarques de toute obédience politique » qui regardent de très haut les fonctionnaires de la base et aiment à leur faire la leçon. Macron qui fut inspecteur des finances avant d’être banquier et ministre, en est un des exemples les plus cyniques. À nous de travailler à lui faire rendre gorge en mettant fin au jeu de dupes du « dialogue social » .1
Henri Wilno
- 1. Voir Gaël Klement « Gel des salaires et pluie d’attaques », L’Anticapitaliste mensuel n°69, octobre 2015 : https ://npa2009.org/idees/fonctionnaires-gel-des-salaires-et-pluie-dattaques