Publié le Mercredi 21 novembre 2018 à 11h25.

Force ouvrière : une crise prévisible

C’est dans un contexte politique bien particulier qu’a été rendue publique la crise de FO, troisième confédération syndicale française. Une situation marquée par la volonté de Macron de réduire la place des « corps intermédiaires » qui pourrait bien trouver ses limites avec l’irruption des « gilets jaunes ». 

Comme la séquence « Lepaon » dans la CGT, la crise ouverte à FO met en évidence les tensions à l’œuvre dans les principales confédérations. Des tensions qui, sur un fond de crise de confiance des salariéEs vis-à-vis des organisations syndicales, amènent certainEs à dévoiler des dysfonctionnements réels, ici ou là caricaturaux, mais largement répandus dans ces organisations.

Institutionnalisation

Ce que mettent au jour les affaires « Lepaon » ou « dirigeants de FO », ce sont les dérives permises par des fonctionnements bureaucratiques et des financements corrupteurs. Le « dialogue social » n’est pas seulement un euphémisme couvrant des politiques différenciées d’accompagnement du système. C’est une architecture économico-sociale dans laquelle gouvernements, patronat, responsables syndicaux trouvent leur compte tant en matière de financement que de désamorçage de conflits sociaux. Depuis des années, de multiples « affaires » ont mis en évidence l’opacité et parfois la clarté délétère du financement de certaines organisations syndicales. Depuis la mise au jour en 2007 du financement occulte de syndicats par la fédération patronale de la métallurgie (UIMM) censé permettre de « fluidifier le dialogue social », jusqu’à la mise sous le boisseau du rapport Perruchot en 2012, qui montrait les dérives du financement des ­organisations ­syndicales et patronales. 

Au-delà de querelles de chiffres difficilement dépassables, il est acquis que le financement des syndicats par le biais des cotisations se situe au mieux entre 30 % et 50 % des « entrées ». Le reste dépend, pêle-mêle, de l’ensemble des institutions paritaires, des détachements, des formations syndicale, professionnelle, prud’homale, handicapéEs du travail, des mutuelles, etc. D’autres ressources proviennent plus ou moins directement des comités d’entreprise, des CHSCT, des multiples cabinets d’expertise économique ou des conditions de travail. Même si sa naissance aidée et financée par l’AFL-CIO/CIA prédisposait FO aux financements et pratiques douteuses, celles-ci n’épargnent pas d’autres syndicats.

Un environnement délétère

Illustrant le brouillage idéologique, Mailly reconnaissait : « Dans des départements, on siège dans plus de 70 comités paritaires et consultatifs, qui remplissent des missions d’intérêt public ». Les grandes restructurations de la Compagnie générale des eaux, d’EDF-GDF, d’Air France… ont été politiquement accompagnées par la quasi totalité des confédérations en échange de la préservation de moyens syndicaux directs ou via les comités d’entreprise.

Les dérives de responsables de FO ou d’un Lepaon (finalement blanchi par la direction confédérale CGT) se nourrissent de l’opacité des financements, des rapports avec l’appareil d’État, avec certains secteurs du patronat. Les dérives de militantEs couvrent un large éventail. Depuis la corruption à bas prix dans les secteurs où la précarité est le lot commun (nettoyage, commerce) jusqu’aux tapis rouges déroulés devant des responsables nationaux dans les ministères, l’appareil d’État, les sinécures internationales. Les multiples participations d’ex-dirigeants de la CFDT aux cabinets ministériels ou leur accession à des postes d’élus du PS complètent ce brouillage idéologique.

Sortir de l’impuissance

La mesure de la représentativité mise en place par Sarkozy, avec le soutien de la CGT et de la CFDT, ainsi que les profondes modifications dans les institutions représentatives du personnel mises en œuvre par l’actuel gouvernement ont comme conséquence d’aggraver l’institutionnalisation du syndicalisme tout en s’attaquant à des sources de financement devenues indispensables. Et elles vont mettre en difficulté la grande majorité des militantEs qui « ne mangent pas de ce pain-là » et subissent déjà répression et discrimination. Des « révélations » qui font le miel du gouvernement et du patronat. 

Au-delà des règlements de comptes, les tensions qui se multiplient dans les confédérations révèlent les difficultés à répondre à leur fragilisation et aux conséquences sur les militantEs, sur les appareils et surtout à engager des mobilisations capables de répondre aux attaques gouvernementales, à l’urgence sociale.

Robert Pelletier