Ces derniers mois en Europe, une série de décisions juridiques et politiques ont reconnu aux travailleurs et travailleuses des plateformes le statut de salariéEs. La mobilisation des précaires des applis, contre les multinationales telles Uber et Deliveroo, doit encore s’amplifier.
En Europe, 3 millions de personnes travaillent à temps plein pour une plateforme et plus de 10 millions en tirent un revenu occasionnel. Pour les travailleurs et travailleuses qui dépendent de ces géants du numérique proposant des services, principalement de livraison et de chauffeurs, les conditions de travail sont très dures et les droits sociaux quasi inexistants. Peu à peu, à force de mobilisations et d’affaires en justice dans de nombreux pays, les « précaires des applis » obtiennent quelques victoires.
Grande-Bretagne, Espagne, Italie…
Au Royaume-Uni, Uber vient de reconnaître le statut de « travailleurEs » (« workers ») à ses 70 000 chauffeurEs. Dans la loi britannique, ce statut, intermédiaire entre celui de salariéE à part entière et d’indépendantE, permet de bénéficier de certains droits sociaux, dont le salaire minimum, les congés payés et la possibilité de cotiser pour la retraite. Après une défaite devant la Cour suprême britannique qui avait donné raison à une vingtaine de travailleurEs, Uber a été obligé de céder et d’adapter son modèle. Mais, n’étant pas entièrement reconnus comme des salariéEs, les chauffeurs n’auront pas le droit à des congés maladie ni à des congés de maternité ou paternité, ni au paiement de leur temps d’attente entre deux clients.
En Espagne, le gouvernement vient de décider de modifier le code du travail pour considérer désormais automatiquement comme salariéEs les livreurEs à domicile de toutes les plateformes. Ce décret a fait suite à une série de plaintes qui avaient débouché sur la reconnaissance par la Cour suprême de l’activité salariée des livreurEs. Mais la loi espagnole n’introduit qu’une présomption de salariat qui n’exclut donc pas que les plateformes obtiennent par la suite gain de cause pour garder certains subordonnéEs sous le statut d’indépendantE.
En Italie, le parquet de Milan a condamné Just Eat, Glovo, Deliveroo et Uber Eats à une amende d’un montant total de 733 millions d’euros, pour la violation des règles de santé et de sécurité au travail. Il a également considéré que plus de 60 000 livreurEs devront voir leurs contrats modifiés pour régulariser leur statut et les faire passer d’indépendantEs à salariéEs. Les plateformes font appel de cette décision et estiment que l’enquête, qui concerne d’anciens contrats, n’aura pas d’incidence pour l’avenir de leurs activités en Italie.
Et en France ?
En France, en dépit d’une décision de la Cour de cassation de mars 2020 contre Uber, reconnaissant un contrat salarié entre un chauffeur et la plateforme, force est de constater que la situation ne change pas beaucoup pour les dizaines de milliers de précaires concernés. L’arrêt « n’a entraîné ni requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs [Uber] ni même eu une conséquence sur la jurisprudence en la matière », se félicite-t-on chez Uber. En effet, les tribunaux ne se sont pas tous alignés sur la position de la Cour de cassation. Selon Uber, seuls 150 chauffeurEs en France auraient entrepris des démarches juridiques pour faire reconnaître leur statut de salarié.
Ce ne sont pas les victoires en justice qui changeront vraiment la donne. Les géants du numérique ont les moyens de faire pression sur les institutions, comme en Californie où Uber a dépensé des centaines de millions de dollars pour faire passer un référendum (qu’elle a gagné en novembre) afin de pouvoir conserver le statut d’indépendantE pour ses chauffeurEs, en dépit d’une loi votée en 2019 l’interdisant.
Seule la mobilisation et le rapport de forces dans la lutte permettront aux précaires des applis d’imposer leur revendication. Le 24 février, une journée internationale de mobilisation contre une « loi Uber » en Europe et contre le faux travail indépendant a réuni dans la rue des collectifs de tous les pays. En Italie, les livreurEs ont annoncé qu’ils et elles allaient poursuivre leur lutte, et prévoient d’ores et déjà une vaste journée d’action et de grève le 26 mars dans pas moins de 32 villes italiennes.