Entretien. Gérald Kierzek est médecin urgentiste au Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) de l’Hôtel-Dieu. Il a été « limogé » de ses fonctions de responsable du SMUR pour avoir lancé l’alerte sur les conséquences sanitaires de la transformation de cet établissement en « hôpital sans lit ». Il est de fait le porte-parole du comité de soutien qui occupe actuellement cet hôpital du centre de Paris très emblématique.
Sur le même sujet, écouter l'intervention de soutien par Olivier Besancenot.
Comment est née la mobilisation à l’Hôtel-Dieu et quelle est la situation actuelle ?
Le 4 mars 2011, Mireille Faugère, Directrice générale de l’AP-HP a annoncé la fermeture progressive de l’Hôtel-Dieu pour y installer les bureaux administratifs de son siège et un fumeux « hôpital universitaire de santé publique (HUSP) » ou « hôpital debout » qui nous a semblé d’emblée être un concept de communication, et non un projet de soins.
L’hôpital sans lits est un non-sens médical et financier : les services des urgences, d’ophtalmologie, de médecine interne et de psychiatrie ont été refaits à neuf il y a moins de cinq ans pour un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros. L’Hôtel-Dieu est le seul hôpital des neuf premiers arrondissements de Paris, et surtout partout ailleurs les urgences sont saturées, violentes et manquent de lits !
Par son accessibilité géographique et son histoire, l’Hôtel-Dieu a donc le devoir d’être le modèle de cet hôpital généraliste moderne, assurant soins et hospitalisations de proximité pour tous. C’est autour de la défense de cet hôpital que s’est créé un comité de soutien très large (élus, associations, syndicats, professionnels, usagers…) qui propose de valoriser les investissements faits et évoluer vers des activités pour répondre à l’amélioration de l’offre de soins. Nous avons baptisé ce projet le projet alternatif pour l’Hôtel-Dieu !
La mobilisation s’est précipitée cet été, suite à mon « limogeage », et notamment depuis l’annonce de la ministre de repousser la date de fermeture des urgences qui était prévue au 4 novembre. Malheureusement la direction continue de vider l’Hôtel-Dieu de sa substance en laissant le personnel quitter l’hôpital à la date du 4 novembre (date initialement prévue pour la fermeture des urgences), en déménageant en catimini début août le service de médecine interne, et en ne rouvrant pas un des services à la fin de la saison estivale.
Quelle étaient tes responsabilités et pourquoi en as-tu été démis ?
J’étais responsable du Service mobile d’urgence et de réanimation de l’Hôtel-Dieu en plus de mes fonctions de médecin urgentiste.
Alors que le projet de fermeture des urgences et de l’hôpital Hôtel-Dieu de Paris est de plus en plus fortement contesté, je suis devenu de fait le porte-parole de cette contestation. J’ai lancé l’alerte sanitaire pour les raisons que nous venons d’évoquer. Je ne fais que mon devoir de médecin en disant que les conditions d’accueil des patients aux urgences sont indignes à Paris et qu’il faut revoir d’urgence la carte sanitaire en reconsidérant la fermeture de l’Hôtel-Dieu et ses urgences.
La seule réponse a été de me démettre de mes responsabilités médicales. Les motifs invoqués ne laissent aucun doute sur les motivations qui sous-tendent cette décision : non-respect « des obligations de réserve, de loyauté et de discrétion professionnelle », « manque de loyauté au regard du projet de soins et d’organisation du service », « dénigrement et mise en cause du chef de service »...
Peux-tu faire le point sur la mobilisation des personnels et du comité de soutien ?
Nous avons appris très récemment que l’AP-HP avait demandé aux Pompiers de Paris de ne plus transporter de patient sur les urgences de l’hôpital à compter du 3 septembre, processus ayant pour conséquence l’asphyxie des urgences. Le but est simple : réduire l’Hôtel-Dieu à une coquille vide pour plaider ensuite l’insuffisance d’activité et de moyens et qu’une fermeture totale s’impose d’elle-même. Cette dernière information a été la goutte qui a fait déborder le vase et le personnel a décidé de prendre les lieux.
Qui est à la manœuvre : la directrice générale de l’AP-HP jouant contre la ministre, ou alors la ministre elle-même tenant un discours lénifiant face aux caméras et laissant opérer la fermeture de l’Hôtel-Dieu ? Notre occupation n’a donc qu’un seul but : clarifier sa position. Oui ou non est-elle pour la fermeture du seul service d’urgences des 9 premiers arrondissements de Paris, couvrant 400 000 habitants et 13 millions de touristes (la zone est la plus visitée de la capitale).
Les perspectives pour la suite du mouvement. Un élargissement avec d’autres mobilisations comme celle autour de la maternité des Lilas est-elle envisagée ?
À l’heure actuelle, toutes les conditions pour exercer sont réunies : plateau technique, lits de médecine, psychiatrie, ophtalmologie, diabétologie, consultations. Mais si les services sont déménagés un à un, cela va créer des difficultés importantes, ce qui est probablement le but ! Restructurer les urgences revient à fermer les urgences, une funeste « première » : fermer un service d’urgence de plus de 100 passages par jour, dans un lieu aussi symbolique que le centre de Paris !
Nous disons que la concentration des services dans des usines à malades que sont les énormes hôpitaux ne permet plus une prise en charge humaine. De plus, augmenter l’attente aux urgences augmente la mortalité, comme toutes les études le prouvent. Pour le personnel soignant, c’est l’épuisement permanent et la fuite. Ce message est entendu et ressenti par la France entière.
La maternité des Lilas est également emblématique de la casse de structures plébiscitées par les patients. Les Lilas avait bénéficié d’engagements pendant la campagne présidentielle. La ministre actuelle de la santé, Marisol Touraine, s’était même rendue sur place et avait assuré que le changement allait avoir lieu !
Nous franchissons donc un cap puisque le mensonge politique est patent. Nous n’accepterons donc ni aux Lilas ni à l’Hôtel-Dieu de nous faire anesthésier en attendant que les municipales passent. Anne Hidalgo, candidate socialiste à l’élection municipale, doit aussi clairement dire aux Parisiens ce qu’elle souhaite : un vrai hôpital de proximité ou bien un dispensaire que tout le monde reconnaît être un cache-misère aussi coûteux qu’inutile ?
Nous lançons ce jeudi 12 septembre 2013 le « Pacte hospitalier pour l’Hôtel-Dieu », campagne d’interpellation des décideurs politiques et des citoyens, visant à placer l’hôpital et particulièrement l’Hôtel-Dieu au cœur de l’action publique et des engagements lors des prochaines échéances électorales. Le comité de défense et de soutien de l’Hôtel-Dieu a donc maintenant pour vocation à fédérer tous les acteurs de la société afin de donner l’ampleur nécessaire à ce Pacte. À l’heure du vote, les citoyens auront les engagements des candidats et pourront se décider en connaissance de cause...
Propos recueillis par S. Bernard