Publié le Mercredi 27 novembre 2013 à 16h24.

Renaissance de luttes dans les hôpitaux, quelques enseignements

Le printemps 2013 a vu la renaissance de luttes dans le secteur hospitalier public et privé. L’été passé, certaines de ces luttes reprennent et se poursuivent comme au Centre hospitalier Gourmelen (établissement de psychiatrie publique à Quimper) ou à la maternité des Lilas (en région parisienne).

Ces luttes prennent parfois un caractère offensif et radical qui leur permet de remporter des succès en quelques jours, comme ce fut le cas à Caen avant l’été, à Montauban (« rétention » du directeur) ou à la clinique de Bordeaux Nord, où les personnels ont cessé le travail, laissant dans certains services à l’encadrement et à la direction le soin d’assurer la sécurité des patients.

Sous l’impact des réformes libérale, l’hôpital public s’est profondément transformé au cours des dernières années : rentabilisation, productivité, les objectifs financiers commandent désormais au soin et non l’inverse, avec pour conséquence des conditions de travail de plus en difficiles, mais aussi une perte du sens du travail, qui se traduit par la montée dramatique de la souffrance au travail.

L’importance de s’adresser aux « usagers », c’est-à-dire à l’ensemble de la population, et de l’associer à la défense de l’hôpital est aussi de plus en plus présente.

Nous livrons ici quatre expériences auxquelles ont participé des militants du NPA.

Au CHU de Toulouse, résister avec le CHST à l’hôpital-entreprise

« Le CHSCT [comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail], c’est permettre aux salariés d’améliorer eux-mêmes leurs conditions de travail », souligne le spécialiste de ces structures, Gérard Brégier. Depuis quelques années, les agents hospitaliers du « meilleur CHU [centre hospitalier universitaire] de France » subissent violemment les restructurations et la mise en place des mécanismes facilitant la casse de l’hôpital public. Les actes de résistance au passage de l’« hôpital excellence » à l’« hôpital entreprise » sont nombreux. Individuels ou collectifs, ils sont à la base de l’élaboration de notre stratégie syndicale.

La tarification à l’activité est devenue le mode de financement quasi exclusif des hôpitaux depuis 2008. Sous l’impulsion directe de Sarkozy, ce mode de financement a entraîné une recherche de taylorisation des soins, souvent par des méthodes de lean management. Alors que le « prendre soin » constitue une source de sens et d’engagement professionnel fondamental dans tous les métiers hospitaliers, les petites actions qui conditionnent la qualité du soin ne sont plus valorisées par la hiérarchie, et plus prises en compte pour l’attribution des effectifs ou le remplacement des absences. Le sous-effectif par rapport à la charge de travail réelle est devenu la règle d’or de l’austérité à l’hôpital.

Avec la certitude que les réponses collectives à toutes ces situations sont les plus efficaces, nous avons donné plus de poids dans notre action syndicale à l’instance CHSCT qui, à l’hôpital, possède des droits plus élargis que dans les autres fonctions publiques. L’instance CHSCT a un pouvoir contraignant dans la prévention des risques liés aux conditions de travail, et une relative souplesse dans son fonctionnement (le Code du travail dit « le CHSCT décide de son fonctionnement »). Il est un lieu privilégié pour passer des résistances individuelles aux résistances collectives.

Concrètement, la préparation des CHSCT prend la forme d’assemblées générales et de groupes de réflexion de salariés pour aller au cœur des pratiques professionnelles : on dégage ainsi des revendications venant d’« en bas » et facilement appropriables. Nous faisons ensuite participer le maximum d’agents en réunion de CHSCT, avec un triple objectif : présentation des difficultés et solutions par les agents eux-mêmes, prise de conscience de la réalité des actions de la direction, de leur déni de la souffrance des agents, et connaissance des démarches combatives de nos équipes syndicales.

Quant aux actions entreprises, il s’agit essentiellement de dépôts de droits d’alerte pour « danger grave et imminent », de convocations de réunions CHSCT extraordinaires, d’enquêtes après accidents et de visites impromptues. Toujours faites dans l’optique de mobiliser les agents, celles-ci sont très souvent accompagnées de dépôts de préavis de grève. Nous recourrons par ailleurs au vote d’expertises indépendantes sur les conditions de travail, que la direction du CHU de Toulouse est dans l’obligation de financer. Afin de les empêcher, la direction engage à chaque fois une procédure au Tribunal de grande instance. Nous gagnons systématiquement les procès, qui confirment la plupart du temps le danger grave et imminent pour les agents, et renforcent la légitimité des préconisations des expertises, qui deviennent des plateformes de revendications. Il reste encore de grandes batailles : les condamnations pour délit d’entrave au CHSCT (systématique chez nous) et de la faute inexcusable de l’employeur sur des accidents de travail et maladies professionnelles.

Parce que le CHSCT remet en cause le droit « sacré » de l’employeur sur l’organisation du travail, ce ne sont pas seulement des améliorations que nous avons gagnées au cours de ces derniers mois, mais une prise de conscience collective et la conquête de la dignité chez les agents, propices à une résistance durable. Nous œuvrons à l’émergence d’un mouvement des indignés de la santé dans la foulée de nos mardi de la colère au CHU de Toulouse, qui permettent de rassembler tous les services en lutte contre le manque de personnel.

A l’Hôpital Gourmelen de Quimper, une expérience de lutte prolongée et d’auto-organisation

Les mouvements sociaux, la grève à l’hôpital posent immédiatement les questions de l’auto-organisation des personnels en lutte et de l’invention de formes de lutte visibles et tournée vers les usagers et la population. 

Cela a déjà été le cas en Finistère, lors de la grande lutte de l’hôpital de Carhaix, en 2008, qui avait reposé sur un comité de mobilisation large avec les personnels, les syndicats, des partis (essentiellement la LCR et l’UDB – Union démocratique bretonne), la population locale, des élus… et des moments forts alliant grève et manifestation dans tout le département avec occupation de l’espace public.

La continuité du service et des soins imposent aux personnels de la santé en lutte, inventivité et créativité. A l’EPSM Gourmelen de Quimper, les personnels mobilisés depuis plusieurs mois luttent contre un plan de rigueur extrêmement violent : 16 postes « gelés » et 3 jours de RTT supprimés, entrainant de fait 10 postes en moins supplémentaires. Malgré un préavis de grève illimitée permettant aux personnels de se rendre disponible, tout en assurant leur service, sur des moments forts de mobilisation, la direction qui applique les directives de l’ARS (agence régionale de santé) et donc du gouvernement Hollande-Touraine campe sur son intransigeance et son refus de remettre en cause ce plan de casse de l’hôpital public et de la qualité des soins.

Dés septembre, les personnels en colère ont décidé, avec les syndicats CGT et SUD, de hausser le ton et de « camper » elles et eux aussi, mais sur le site de l’hôpital. Barnum et tentes de camping ont donc fleuri sur la pelouse de Gourmelen. Depuis, cette « zone » de protestation et de discussion est devenue la « ruche » de la résistance aux mauvais plans de la direction et de l’ARS. Du matin au soir, y compris la nuit, les personnels se sont relayés, rassemblés, retissant du lien amical, social et combatif.

En permanence sur le site, visibles par le personnel et les patients, ils reçoivent le soutien des usagers, leurs familles et de leur association mais aussi d’autres syndicats et de partis politiques (NPA, FdG). Les salariés en lutte ont reçu le soutien du corps médical et se sont à plusieurs reprises invités dans des réunions de la direction, perturbant comme il le fallait la « bonne marche administrative ».

Cette manière de procéder, cette auto-organisation en AG, qui décide et organise, a décuplé la force et la motivation des personnels en lutte et particulièrement des jeunes soignantes et soignants. Elle a permis de rassembler le plus grand nombre et de donner naissance à une coordination du personnel avec des représentants du collège médical, des syndicats, des non-syndiqués et des différentes professions de l’hôpital. Cette coordination se réunit tous les lundis pour organiser la feuille de route décidée lors de la dernière AG qui a rassemblé plus de 300 personnes. L’idée première est de sortir de l’hôpital en direction de la population et d’interpeller tous les élus.

En agissant ainsi, les personnels se sont approprié les revendications et la conduite de la lutte.

L’expérience en cours, qui vise aussi à sortir de l’hôpital et à se coordonner avec d’autres hôpitaux et la population, pose de fait l’affrontement avec la direction et l’ARS. Dans le même temps, elle permet à des dizaines, voire des centaines de personnes, de prendre conscience de leur propre force et de leur droit à décider par eux-mêmes, par nous-mêmes.

La colère des salariés fait reculer la direction de la clinique privée de Bordeaux Nord

Si dans les établissements publics, les conditions de travail se dégradent, c’est aussi le cas dans le privé. La rentabilité est le maître mot à la clinique Bordeaux Nord, un établissement à but lucratif qui appartient à un groupe familial d’actionnaires qui possède plusieurs cliniques et dépend de la convention collective FHP (fédération de l’hospitalisation privée), aux droits les plus défavorables. 

Pour préserver voire augmenter ses bénéfices, la direction est prête à tout pour baisser la masse salariale.

Après plusieurs années de baisse des bénéfices, elle a annoncé en mai dernier qu’elle revenait sur des acquis concernant la récupération de jours fériés et de formation. Cela veut dire que les salariés en 12 heures ne récupéreraient leurs journées de formation ou de jours fériés non travaillés qu’en 7 heures au lieu de 12 actuellement : une perte d’environ 3 jours de repos annuel. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. 

Le 11 juin dernier, nous étions environ 160 à débrayer à l’appel de la CGT pour une augmentation de salaire et contre cette décision. Une vingtaine de salariés de Loghos (sous-traitance de la restauration et du ménage du groupe) et du Groupement d’intérêt économique (services techniques et administratifs) ont aussi débrayé. Après plusieurs mois de conditions de travail difficiles (absences pas toujours remplacées), l’annonce de la direction de ne pas augmenter les salaires (seuls 240 salariés sur 600 bénéficient d’une augmentation de 55 € bruts cette année, le reliquat d’un accord), cette nouvelle attaque était de trop ! 

Malgré le débrayage, la direction a annoncé qu’elle ne reviendrait pas sur sa décision. Rien de tel pour attiser la colère, et c’est à l’unanimité des grévistes que nous avons voté la poursuite de la grève le lendemain. La nuit, le mouvement s’est poursuivi. Des cadres ont du assurer le boulot. Réveil, dialyse, des services de chirurgie, la cardiologique, la maternité… Des salariés administratifs ont aussi rejoint le mouvement. Comme les 360 salariés soignants, ils n’ont quasiment pas été augmentés depuis 2010. Dans certains services, le temps pour la direction de s’organiser, les patients étaient seuls : en effet, dans les cliniques privées, le personnel ne peut être réquisitionné comme c’est le cas à l’hôpital.

Voyant notre présence dès 7 heures le lendemain matin avec banderole et tracts, la direction a dû se résoudre à faire de nouvelles propositions, toutes rejetées en bloc : une prime de 300 € nets pour tous, dès janvier 2014, puis un jour de congé payé supplémentaire pour les salariés en 12 heures, à condition de supprimer les acquis. Malgré son chantage aux licenciements (elle prévoit un déficit en 2013), il n’était pas question pour les salariés de perdre leurs acquis !

Cette grève, la plus importante depuis celle de 2001 (qui avait duré 25 jours et avait aussi paralysé la clinique), a fait reculer la direction et nous avons conservé nos acquis. Même si sur les salaires, rien de plus n’a été obtenu, les salariés ont fait passer le message : pas question d’accepter le moindre recul. Alors que toute l’année, les collègues hésitent à se mettre en grève pour ne pas pénaliser les patients, là, cela n’a pas pesé lourd face au mépris de la direction.

Un comité unitaire lutte contre la fermeture de l’Hôtel-Dieu de Paris

Composé de syndicats hospitaliers, de partis politiques, d’associations, d’usagers, et actif depuis 2004, le comité de soutien est passé à l’action directe en occupant, depuis le 1er septembre, un service neuf et désaffecté pour s’opposer à la fermeture de cet hôpital et de ses urgences. Le comité a même l’ambition de penser que la démocratie sanitaire est indispensable et propose, outre le maintien des urgences (300 patients/jour), le développement d’un service public de proximité pour les 400 000 habitant-e-s du coin, les millions de touristes et les 750 000 voyageurs des transports en commun. Mais la directrice générale de l’Assistance publique, avec la complicité de mandarins exerçant en secteur 2 (honoraires libres) dans des cabinets privés installés au sein des hôpitaux, sacrifie la population qui n’aura pas d’autre solution que d’aller s’amasser aux urgences des autres hôpitaux parisiens déjà saturées. 

L’action du comité de soutien a permis de porter sur la place publique le scandale sanitaire de cette fermeture qui, dans le contexte électoral, a contraint Marisol Touraine à déclarer reporter la fermeture des urgences imposée au 4 novembre...au-delà des municipales ! Mais le comité de soutien a dû s’opposer au déménagement en catimini de matériel médical…

Elus, candidats aux municipales et dirigeants politiques (dont Olivier Besancenot) ont participé à une conférence publique et paraphé un pacte hospitalier pour sauver et développer l’Hôtel-Dieu. Pacte hospitalier inspiré du projet alternatif porté par le comité et le lanceur d’alerte, Gérald Kierzek, démis de ses fonctions de responsable du SMUR (service mobile d’urgence et de réanimation) cet été pour manquement au droit de réserve.

Sans participer à cette démarche, Hidalgo, candidate du PS à la mairie de Paris a affirmé que « le projet de fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu n’est pas possible en l’état ». Delanoë, maire de Paris, demande de suspendre la fermeture pour reprendre la concertation sans a priori et en l’élargissant à l’ensemble du problème des urgences parisiennes. 

Dans le même temps, un rapport remis à la ministre par le président du conseil national de l’urgence hospitalière rappelle qu’au cours de l’hiver 2012-2013, une saturation importante et durable des urgences a été constatée, que la surcharge des services d’urgences provoque une morbi-mortalité supplémentaire à la pathologie, et qu’accuser les urgences d’accueillir trop de monde est un faux problème. Le véritable problème est plutôt la pénurie de lits d’hospitalisation. Le médecin-chef des pompiers lui-même affirme (avant de se rétracter) que la fermeture des urgences de l’Hôtel-Dieu va désorganiser leur activité et les contraindre à revoir à la baisse leurs missions de secours à la population. Dans le même sens, l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) s’oppose à la disparition de ces urgences.

Malgré tout, la directrice générale de l’AP-HP (hôpitaux parisiens) continue d’asphyxier l’Hôtel-Dieu dans la perspective, déjà fixée en 2010, de le vendre à un fond privé pour le transformer en hôtel de luxe, comme les Hôtel-Dieu de Marseille et de Lyon. De plus, elle se permet d’assigner au Tribunal administratif de Paris trois syndicalistes, la CGT et SUD pour « occupation illégale » !

Entre cuisine électorale et mobilisation du comité, l’issue de ce bras de fer reste incertaine mais aujourd’hui plus que jamais, la convergence de toutes les résistances est à l’ordre du jour pour gagner.

Commission nationale santé-sécu-social du NPA