Publié le Lundi 4 juillet 2011 à 10h29.

Secteur public : privatisation, rentabilisation, répression

Le rapport de forces entre les classes issu de la Seconde Guerre mondiale a débouché sur un compromis avec les représentants attitrés de la classe ouvrière (PCF et CGT), les compensations légitimant leur acceptation du maintien du système en place. Les nationalisations de pans entiers de l’économie et le développement d’un secteur public, conçus comme les éléments centraux de la reconstruction du pays, se situaient au premier rang de ces concessions.

Dans le même temps, dans ces secteurs, des moyens importants étaient concédés aux organisations syndicales. C’est ainsi que Renault ou EDF-GDF sont apparus comme des vitrines des conquêtes sociales octroyées dans le cadre des Trente Glorieuses. Cependant, Mai 68 et la grande trouille des défenseurs du système, ont ouvert la voie aux trente calamiteuses : prémices de crise économique et volonté patronale et gouvernementale de transformer radicalement l’organisation de la production et de s’attaquer frontalement aux acquis de la classe ouvrière. Passé l’intermède des nationalisations de l’après-Mai 81 (souvent inscrites dans la logique de nationalisation des pertes et de gestion des « sureffectifs » et de privatisation des bénéfices après rationalisation), gouvernements de gauche et de droite mettent en œuvre avec constance une politique de généralisation des privatisations. Celle-ci frappe tous les secteurs, y compris ceux historiquement placés entre les mains de l’État (transports, énergie, courrier) ou ceux dont on pouvait (naïvement ?) penser qu’ils échapperaient à la logique du fric et du profit (prisons, éducation nationale, santé).

Pour les agents devenant des salariés alors que les usagers se transformaient en clients, les privatisations ont eu pour conséquences à la fois la perte du sens du travail et la réduction drastique des moyens tant humains que matériels, ajoutant à la désespérance des personnels. Ces attaques, qui débouchent parfois sur un retournement de la violence contre soi-même – comme l’ont montré les suicides chez France Télécom – suscitent aussi ripostes et mobilisations également marquées par la violence des rapports de classes. Séquestrations, coupures d’électricité en même temps que rétablissement du courant pour les usagers pauvres, actes de désobéissance allant du refus de remplir des fichiers à celui de couper des arbres : la colère des salariés répond à la violence des décisions de gestionnaires aux yeux rivés sur les courbes de bénéfices et de décroissance des effectifs. Ce sont bien ces résistances que gouvernement et patrons de choc tentent de briser par la multiplication des agressions, des sanctions, des licenciements. Le mouvement syndical majoritaire dans ces secteurs s’étant souvent embourbé dans le dialogue social, le réveil est parfois douloureux et les salariés doivent retrouver la voie des batailles collectives pour arrêter la liquidation de la notion même de service public et la dégradation de leurs conditions de travail.

Les cheminots dans le collimateur

Il n’est pas rare après un conflit, comme celui des retraites à l’automne, de voir la direction de la SNCF tenter de sanctionner les cheminots ayant participé au mouvement. Ainsi, après chaque grève, des sanctions tombent un peu partout, comme après celles de 2003 ou 2007, sur les retraites. À chaque fois, bien sûr, des mobilisations locales s’organisent pour dénoncer cette politique patronale. Et à chaque fois, on ne peut que constater que « la direction tape de plus en plus fort ».

Mais depuis quelques mois, la SNCF est passée à la vitesse supérieure. Depuis la grève de l’automne, on ne compte plus les sanctions allant du blâme à la mise à pied. Elle n’hésite pas non plus à licencier des cheminots, comme notre camarade Fabien Malvaud qui a mené une grève de trois semaines au Technicentre Est Européen cet hiver. Pour avoir protesté contre ce licenciement, un autre militant est passé devant un conseil de discipline qui a failli le faire licencier également...

De fait, des actions cheminotes « traditionnelles », comme les envahissements de comité d’entreprise, les occupations de poste d’aiguillage, voire les diffusions de tracts  aux usagers dans les gares sont maintenant périlleuses... La direction n’hésitant pas à faire appel à une myriade d’huissiers et autres mouchards, cherchant « la faute » qui leur permettra de tomber à bras raccourcis sur les cheminots.

Et au final, la défense des militants devient une activité « énergivore », nécessitant de faire appel à des avocats, d’organiser des rassemblements, des pétitions, de trouver des fonds. Les militants incriminés sont en partie « neutralisés » le temps de savoir à quelle sauce ils seront mangés : c’est un facteur supplémentaire de stress. L’enjeu est important pour la SNCF qui fait encore face à un secteur combatif comme on l’a vu lors de la grève contre la réforme des retraites de l’automne 2010. De son point de vue, la direction se considère en retard sur les processus de privatisation/libéralisation déjà en cours dans les autres grandes entreprises publiques. C’est que si l’ouverture à la concurrence du fret, puis du trafic voyageur international sont déjà lancées, celle du trafic régional arrive. Pour se « préparer » à cette concurrence, la SNCF a besoin de mettre les cheminots au pas. Et la répression, accompagnée d’un management agressif, est bien conçue comme une politique délibérée afin d’accélérer l’éclatement de la SNCF.

EDF-GDF : violences patronales et privatisations

Le dernier socle du service public de l’énergie d’EDF-GDF, filialisé depuis 2007 sous le nom de service commun ERDF GRDF (techniciens en bleus qui interviennent au domicile) doit disparaître pour mettre un point final à la privatisation de l’énergie, de l’électricité et du gaz. Cette disparition annonce des plans sociaux. Les services de la distribution doivent être concurrentiels, liés à chaque fournisseur (EDF, GDF, Poweo, Direct Energie, etc.). Mais pour permettre une meilleure rentabilité dès 2013, les compteurs Linky, dits « intelligents » seront posés. Ils permettront d’adapter la tarification des usagers à l’heure, au jour, à la semaine, à la saison. Plus il y aura de consommation au niveau national, plus le tarif sera élevé. Ils pourront être coupés à distance, augmentant encore plus la précarité énergétique. D’un autre côté, la pose de ces compteurs va permettre de supprimer 70 % de l’effectif des techniciens clientèle. En effet, les réparations pourront se faire à distance ainsi que les augmentations de puissance et la relève des consommations. À terme, de lourds plans sociaux sont à venir.

C’est pourquoi, dès aujourd’hui les directions tentent d’écraser dans l’œuf toute velléité de résistance sociale du personnel.En Île-de-France, les directions tentent de faire régner l’ordre. À Paris, 32 conseils de discipline se sont tenus avec au final sept licenciements en moins de trois ans. Cette politique se double d’une criminalisation de l’action syndicale : trois militants du syndicat SUD Énergie Paris, dont le secrétaire général, sont poursuivis en justice pour avoir organisé une manifestation contre un licenciement abusif. Ils risquent jusqu’à 30 000 euros d’amende et trois ans de prison.

Un autre militant de Sud à été licencié après une grève de trois mois en 2009. Aujourd’hui, bien que le conseil des prud’hommes de Paris estime ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, la direction refuse de le réintégrer. 29 militants du syndicat CGT Énergie Paris ont été sanctionnés durant ces dernières années, de la mise à pied à la rétrogradation entraînant pour certains d’entre eux des pertes de salaire cumulées de 5 000 euros.Dernièrement un militant CGT et sa femme ont été agressés dans le RER par un cadre poursuivi par ailleurs pour le harcèlement moral d’une employée, sans que la direction n’y trouve à redire (ce cadre a même été promu !). Cette violence, particulièrement virulente à EDF-GDF, a pour but d’annihiler tout forme de résistance sociale à la politique des directions, que ce soit la privatisation ou la contestation du tout nucléaire qui, après la catastrophe de Fukushima, commence à faire débat parmi le personnel.

Toutefois, comme l’a montré la dernière grève en avril 2011, à laquelle près de 80 % du personnel a participé pour défendre un acquis lié à son pouvoir d’achat, la mobilisation reste très forte. De même la revendication de renationalisation du service public du gaz et de l’énergie que contrôlent les usagers et des travailleurs est toujours massivement présente chez les agents EDF-GDF. C’est aujourd’hui l’enjeu du bras de fer engagé par la direction.

Répression à La Poste : l’acharnement  !

L e 27 juin 2011, la procureure de Nanterre demande de cinq à dix ans de prison contre Olivier Besancenot et quatorze autres postiers pour une prétendue « séquestration ». Risquer dix ans de prison pour faits de grève : comment en est-on arrivé là ? C’est en 2005 que la direction de La Poste entame son tournant répressif. Lors de la grève des postiers du centre de tri contre un plan de suppression de 40 emplois et la fermeture programmée du site, la direction fait intervenir le GIPN (!) et entame une série de poursuites disciplinaires et pénales. Au bout du feuilleton judiciaire de six ans, les postiers concernés écopent au tribunal de grande instance de peines moins sévères qu’au départ, mais l’équipe syndicale qui avait menée l’action est sérieusement affaiblie par les sanctions disciplinaires qui ont pu s’appliquer entre-temps. L’acharnement de la direction de La Poste ne peut s’expliquer que parce qu’elle avait dès cette époque un objectif en tête : démanteler les équipes syndicales combatives.

Depuis 2007, le nombre de poursuites disciplinaires se multiplie dans toute la France : à Rodez, Annecy, Paris, Bobigny, Tours... Tous les métiers sont touchés : distribution, centres de tri, colis, mais aussi guichets et même les commerciaux. Les collègues poursuivis refusent les réorganisations, les suppressions d’emplois ou leurs conséquences (plusieurs facteurs sont poursuivis parce qu’ils refusent de distribuer le courrier au-delà de leurs horaires de travail). Ce sont de plus en plus des représentants syndicaux départementaux qui sont visés comme Olivier Rosay de SUD Poste 75 (dix-huit mois de suspension en décembre 2010) ou Gaël Quirante, Bertrand Lucas et Yann Le Merrer de SUD Poste 92.

Les formes de lutte que La Poste criminalise de plus en plus sont les prises de parole et les AG. La Poste ne supporte plus les AG car elles sont l’un des moyens fondamentaux de regrouper le personnel et de lui faire prendre confiance dans sa force. Elle cherche à limiter l’activité syndicale aux seules formes qui ne permettent pas aux salariés de s’opposer aux plans de la direction.

Le procès pour « séquestration » des quinze postiers du 92 est emblématique. Malgré les multiples commissions disciplinaires, les recours à l’inspection du travail, au ministre du Travail... la direction de La Poste a jusqu’à maintenant échoué à neutraliser l’équipe syndicale particulièrement combative de SUD Poste 92. Au fil des conflits parfois longs mais parfois aussi victorieux (comme au début de ce mois à Courbevoie, Neuilly et Asnières), une tradition de lutte s’est forgée dans ce département : les postiers ont pris l’habitude de se battre dans plusieurs bureaux à la fois. Après la grève de 66 jours du printemps 2010, la direction a donc monté de toutes pièces un dossier qui a abouti au procès en correctionnelle du 20 au 27 juin. La procédure est expéditive (pas d’enquête !) et le procès est clairement politique. Il s’agit à la fois de faire place nette à l’accélération du processus de réorganisations « à la France Télécom » dans la plus grosse entreprise de France pour la transformer en machine à profits, mais aussi d’intimider les jeunes et les travailleurs en leur montrant que même Olivier Besancenot et ses amis ne sont pas à l’abri. Nos adversaires font de ce procès une question politique, faisons de même : par l’écho qu’il rencontre, ce procès peut donner l’occasion de regrouper toutes les victimes de répression à La Poste comme ailleurs.

Rassemblement à 8 h 30, le 5 septembre, devant le tribunal de Nanterre (RER Nanterre-Préfecture).

L’Éducation nationale contre les « désobéisseurs »

Tentant de renouer avec les déclarations retentissantes de De Gaulle, Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, déclarait sur France Inter en 2010 qu’un fonctionnaire devait « obéir à des instructions, des règles, sinon, c’est la chienlit, ce n’est plus la République ». Il visait ainsi les « désobéisseurs », c’est-à-dire les enseignants qui au fil des années refusent de participer à l’aide individualisée aux élèves, de faire passer les évaluations ou de remplir les documents pour alimenter les fichiers qui doivent suivre les élèves dès leur plus jeune âge. Il faut dire que beaucoup d’enseignants et surtout les instituteurs devenus professeurs des écoles ne se vivent plus comme les « hussards de la République ». Selon eux, la volonté est désormais non plus d’ouvrir l’esprit des enfants, mais de les préparer à la compétition.

Ce mode d’action, peu prisé et soutenu du bout des lèvres par les syndicats enseignants, s’est développé dans la foulée des grandes mobilisations de 2003 et 2007 pour la défense du système de retraites. Les journées d’action sans lendemain deviennent incapables de remporter le moindre succès. Mais c’est à partir de listes de discussions pédagogiques et alternatives que s’organisent les « désobéisseurs » souvent militants syndicaux malgré tout.

Pour l’administration, ces nouvelles formes de luttes sont inacceptables. Elle essaie d’abord les sanctions financières lourdes avec retrait de plusieurs jours de salaire par semaine, mais l’élan de soutien national faisant que les caisses de solidarité parviennent à rembourser l’intégralité des pertes, en conservant même des marges financières, elle passe à de nouvelles sanctions administratives. Face à des formes de mobilisation nouvelles, elle aussi se met à innover. Convocation devant des commissions disciplinaires, blocage des carrières, abaissement d’échelon, mutation d’office, tout l’arsenal punitif d’ordinaire réservé aux fautes graves est utilisé pour décourager les « rebelles ». Et si cela ne suffit pas, elle menace de sanctions plus lourdes pour « Manquement au devoir de réserve, incitation à la désobéissance collective, attaque publique contre un fonctionnaire de l’Éducation nationale ». Ces accusations sortent du cadre professionnel et portent atteinte aux libertés individuelles les plus élémentaires. Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire, fait observer à juste titre : « Jamais dans l’histoire contemporaine de l’école (depuis 1940), de telles pratiques n’ont été observées ».

Si des parents d’élèves se joignent à ces mouvements, c’est surtout du côté des lycéens que les mobilisations commencent à se développer. Mais là aussi l’administration frappe fort d’entrée de jeu : interdiction de réunions dans  l’enceinte des lycées, convocations nombreuses et répétées devant des conseils de discipline pour blocage ou grève, multiplication des exclusions provisoires de longue durée et exclusions définitives. Les dernières mesures prises pour lutter contre l’absentéisme scolaire s’inscrivent dans la même logique : punir. La rentabilisation, la privatisation rampante de l’Éducation nationale nécessite d’écraser toutes les résistances, toutes les mobilisations. Malgré tout, dans ce paysage d’inertie syndicale, les désobéisseurs ont réussi par leur engagement, malgré leur nombre restreint, à porter le fer contre l’administration et à revendiquer la possibilité de résister aux attaques, pied à pied.

Répression antisyndicale chez les agents territoriaux

Lors de son 10e congrès, constatant la montée de la répression antisyndicale dans la fonction publique territoriale, le Fédération CGT des services publics a dénoncé les agissements antisyndicaux de nombreux élus locaux. Le congrès a notamment exigé la révocation du maire de droite d’Amnéville, en Moselle, véritable patron voyou qui s’acharne contre deux syndicalistes.

En 2005, deux policiers municipaux et militants de la CGT dénoncent auprès du procureur de la République de Metz la gestion « inacceptable », des thermes de la ville. En 2006, il est épinglé par la Cour des comptes pour sa gestion municipale « marquée par l’opacité et les irrégularités ». En décembre 2009, le maire est condamné à 2 000 euros d’amende pour faux et usage de faux dans une affaire d’attribution d’un marché public. Il échappe alors aux peines d’inéligibilité et d’emprisonnement avec sursis, requises par le parquet général.

Les deux militants agents de la mairie ont été sanctionnés, mis au placard puis révoqués. Le maire a refusé de reconnaître la liste CGT aux élections professionnelles et qualifié la CGT de « peste rouge »…Depuis octobre 2009, les deux militants sont radiés des effectifs du personnel communal et se trouvent au chômage alors que plusieurs décisions de justice ont ordonné leur réintégration…

Refus d’accorder des primes, notes administratives baissées, déroulement de carrière ralenti, refus systématique de stages de formation syndicale, mise au placard… depuis des années, les brimades et restrictions de droits sont aussi le lot quotidien d’agents municipaux et militantes syndicales (une adjointe administrative et une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles-Atsem) de Saint-Martin-de-Valgalgues dans le Gard. Ici aussi, l’impunité est totale. Pour l’heure, les agissements du maire UMP sont couverts par les services de l’État malgré les décisions d’instances administratives paritaires ou de justice

Dans de nombreuses collectivités, syndicats et militants font face au quotidien à des entraves de plus en plus nombreuses au droit syndical. Lors de la mobilisation sur les retraites de l’automne, de nombreuses équipes municipales ou de conseils généraux se sont mobilisées, liant cette bataille à celle contre la réorganisation de la fonction territoriale avec ses conséquences sur l’emploi et les conditions de travail. Pas besoin d’être devin pour imaginer que ce sont ces mobilisations que les responsables de ces collectivités tentent d’étouffer dans l’œuf.