Les cheminotEs vont avoir une rentrée difficile. Après le mouvement de grève le plus long de l’histoire de la profession, ils vont devoir faire face à la répression, organisée par la direction, contre les grévistes. Nous avons rencontré Anasse Kazib, militant Sud-rail et aiguilleur au Bourget (93), pour aborder ces questions.
On a eu connaissance de nombreux cas de répression contre des cheminotEs grévistes ; quelle est aujourd’hui la politique de la SNCF ?
La boîte est en train de mener une offensive contre les grévistes, contre ceux qui ont été actifs, comme elle a toujours eu l’habitude de procéder après les grèves. On avait vu, en 2016, une accélération de la politique répressive de la SNCF, avec, après la loi travail, plus de 400 cas de répression de militantEs syndicaux. J’ai l’impression que contrairement à 2016, lorsque la boîte avait attaqué surtout des figures de la grève, à l’avant-garde du mouvement, elle cherche aujourd’hui à licencier des cheminotEs moins susceptibles de lever une forte solidarité derrière eux, pour en faire des exemples. C’est une répression qui concerne tous les cheminotEs qui se sont joints au mouvement, sans forcément en être des figures. La boîte prend n’importe quel prétexte pour tenter de radier des cheminotEs ou les sanctionner. Nous avons commencé à recenser les cas de répression, et chaque dossier montre le niveau d’offensive de la boîte : à Nîmes, un délégué CGT est menacé de radiation pour avoir allumé une torche en gare pendant la grève ! À Rennes, c’est cette fois un cheminot Sud-rail qui est menacé de radiation pour avoir simplement déclenché une mesure d’urgence parce que des policiers étaient sur les voies ! À Lille Flandres, on reproche à un cheminot d’avoir envahi les bureaux de la direction… Autant dire que n’importe quel fait et geste peut être motif à licenciement aujourd’hui à la SNCF : voilà la politique de Guillaume Pepy.
La boîte réprime aussi de manière détournée, s’acharnant sur des absences ou des retards… Aujourd’hui on peut être licencié pour un retard. Il s’agit non seulement de réprimer la grève, mais aussi de préparer l’ouverture à la concurrence. En 2015, un dirigeant de la SNCF avait annoncé vouloir transformer l’entreprise en « l’Orange de demain » : une déclaration qui fait froid dans le dos quand on sait le nombre de suicides qui ont suivi la privatisation de France Télécom. Ils cherchent à nous faire accepter la future ouverture à la concurrence.
Les récentes lois du quinquennat Hollande et du début de mandat de Macron facilitent-elles cette politique répressive ?
Avec les ordonnances Macron et la loi El Khomri, c’est devenu de plus en plus facile pour les patrons pour réprimer : ils n’ont plus peur et n’ont plus la même crainte d’envoyer des déléguéEs au licenciement, même avec les procédures. Avec la loi travail XXL, un tribunal peut juger un licenciement « abusif » sans que le salariéE ne soit réintégré, avec des indemnités prud’homales qui seront une misère. Alors qu’avant c’était en fonction de son ancienneté, il y a une échelle qui fait que tous les jeunes cheminotEs peuvent être licenciés, avec la seule espérance de gagner 6 mois de salaire sans réintégration si le licenciement est jugé abusif. Aujourd’hui, cette vague de procédures disciplinaires est rendue possible par Macron, qui a donné l’assurance aux patrons que même pour un licenciement jugé « abusif », ils devraient payer des indemnités prud’homales plafonnées.
Comment l’intergares va-t-elle réagir face à ces procédures ?
Avec l’intergares, pendant la mobilisation, on s’était déjà mobilisé à trois reprises sur des cas de répression, et cela va être une de nos tâches centrales en cette rentrée. Au printemps, on s’était mobilisés pour soutenir des collègues qui passaient en conseil de discipline. La première fois, à Saint-Lazare, c’était un travailleur handicapé ; le second, un collègue mis au placard. Le principe de l’intergares, c’est d’être un collectif mobile pour empêcher les cheminotEs de se faire descendre par la boîte tout seuls. Il s’agit d’aller défendre tous les cheminotEs, qu’ils soient CGT ou Sud-rail, ou non syndiquéEs. Il y a eu en juillet un rassemblement à Saint-Pierre-des-Corps à Tours pour le camarade rennais menacé de radiation ; nous avons tout fait pour rassembler le plus de cheminotEs, et nous étions 90 en pleines vacances à défendre nos collègues menacés par la répression.
Propos recueillis par Arthur Nicola