Publié le Dimanche 13 décembre 2009 à 13h15.

Capitalisme : ce qu’il doit au désespoir (et inversement)

Le capitalisme est un système qui prospère sur le malheur et l’aliénation de la majorité de population et ne profite qu’à une infime minorité de possédants, réels ou virtuels. Depuis le krach financier, les Bourses et les banques se sont refait une petite santé, mais l’économie réelle subit encore l’impact monstrueux de cette crise. Et encore une fois, la note la plus salée est payée par le salariat et, plus largement, le « précariat ». Les délocalisations continuent et les licenciements économiques battent des records. En France, près de 600 000 personnes ont perdu leur emploi en 2009, pendant que des grands groupes ont vu le cours de leurs actions s’envoler. Nous n’attendions pas grand-chose des bonnes paroles de Sarkozy, qui s’était engagé à « moraliser » le capitalisme, mais notre perplexité est immense devant la complaisance d’une partie des médias et l’apathie du plus grand nombre. Lorsque Sarkozy fait le distinguo entre capitalisme financier et capitalisme tout court, il continue de défendre ce système économique basé sur la domination des possédants et la soumission des autres. L’escroquerie consiste à nous faire croire que ce système peut être contrôlé, moralisé ou humanisé. Or, le capitalisme est intrinsèquement barbare : son organisation repose sur la compétition effrénée, l’accaparement des biens et des services ; le libre échange commercial exacerbe la concurrence internationale au détriment des productions locales et le productivisme est un non-sens écologique. Aujourd’hui nous vivons sous le règne du « néo-libéralisme » qui est soit la forme aboutie du capitalisme si l’on se place du côté de Wall Street, soit l’expression économique d’une phase terminale pour le quidam moyen. Ce néolibéralisme a vu le jour au tournant des années 1980 et il s’est accéléré et décomplexé avec la chute du mur de Berlin et les mandats de Reagan et Thatcher. Sous ces deux ères politiques, l’idée qu’il n’y avait pas d’autre alternative que le capitalisme s’est imposée. Avec la chute du Mur, l’utopie communiste et l’espoir qu’elle pouvait susciter ont été engloutis dans l’effondrement du bloc de l’Est. Sans autres solutions ou systèmes viables, tous les excès du capitalisme sont permis ; qu’importe si un milliard de personnes souffrent de la faim alors que la planète produit assez de denrées alimentaires pour nourrir 12 milliards d’individus1 ; qu’importe si des multinationales engrangent des bénéfices colossaux et licencient à tour de bras dans la foulée ; qu’importe si l’épidémie du sida continue de ravager l’Afrique, l’Asie et une partie de l’Amérique du Sud parce que les grands groupes pharmaceutiques freinent la production des médicaments génériques ; qu’importe si le brevetage compulsif et hystérique des semences, du végétal, de l’animal, de la culture et du savoir continue. Qu’importe, tout a un prix, tout doit être rentable, l’air, l’eau, la santé, la nourriture, les loisirs, la famille et les amis « facebookés » ou « twitterisées », dans une grande entreprise d’abrutissement collectif. L’aspiration à une vie meilleure a été remplacée par l’appât du gain. Le Loto et l’Euromillions sont devenus les seules échappatoires à nos vies précarisées par l’aliénation au travail ou à l’absence de travail. Pourtant, le désastre continue, car le capitalisme nous pousse à l’extrême individualisme, au détriment de notre dignité et de notre humanité. Ce que le capitalisme doit au désespoir, et inversement, nous le voyons chaque jour autour de nous. Ce monde d’une froideur sidérante et cette actualité nous révulsent et nous révoltent : comment peut-on encore défendre un système qui pousse des hommes et des femmes à se suicider à cause de leur travail, ou bien parce qu’ils n’en ont pas ? Le travail est devenu un calvaire pour beaucoup, une souffrance invivable. L’autre arme du capitalisme est l’aliénation à la surconsommation et la dépendance au crédit qui,avec le nombre grandissant des dossiers de surendettement, fait lui aussi des victimes et des drames innombrables. Ces questions, nous les vivons dans nos entourages respectifs. Ici dans les quartiers populaires de Marseille, la misère n’est pas un effet de style ou une tournure littéraire. Elle est là, glauque et dévastatrice, mais des signes d’espoir et de résistance commencent à pointer au loin. Des comités de chômeurs se forment, des marches contre la précarité s’organisent, des associations de locataires se dressent contre les institutions et les bailleurs sociaux, des comités contre l’expulsion des étrangers et les expulsions locatives se battent tous les jours. Des collectifs d’associations, comme le Collectif d’action et de réflexion populaire (Crap2) que nous avons rejoint, tentent de monter des chaînes de solidarité active. Toutes ces initiatives sont comme de minuscules étincelles dans l’immense obscurité, mais elles sont porteuses de cette folie qu’est l’espoir d’un monde meilleur, plus juste, cet espoir qui fait que nous ne nous résoudrons pas à abdiquer. Quartiers Nord/Quartiers Fort (association des quartiers Nord de Marseille)1. Rapport de la FAO 2007.2. Collectif d’associations, d’habitants, de syndicats, de médias alternatifs et de partis de la gauche radicale, regroupant une trentaine d’organisations marseillaises. Prenant pour modèle le LKP guadeloupéen, ce collectif entend agir politiquement pour et avec les quartiers populaires.