Publié le Mercredi 23 juin 2010 à 15h29.

Foot fric folie

Les exploits de l’équipe de France de football en Afrique du Sud donnent lieu à des déchaînements nationalistes, prompts à faire oublier la vraie crise.Les déboires des Bleus font décidément couler beaucoup d’encre et de salive. « Va te f..., fils de p... », « Mutinerie », « Imposture », « Déshonneur national », « Traîtrise », les grossièretés, les poncifs machistes ou nationalistes et les qualificatifs racoleurs n’ont pas manqué pour commenter le feuilleton français en Afrique du Sud. Les vestiaires des footballeurs n’ont pas le monopole de la folie et de la démesure. En réalité, ce feuilleton à bien des égards ubuesque est le produit de la faillite d’un système. Un système où des jeunes recrutés de plus en plus jeunes, pour la plupart dans des quartiers pauvres du tiers monde ou des pays capitalistes développés, sont l’objet d’enjeux politico-financiers et reçoivent des rémunérations astronomiques, de quoi faire perdre tout sens de la réalité. Thierry Henry gagne 18,8 millions d’euros par an soit 1 567 fois le Smic1, 8 000 fois le revenu d’un jeune du township qu’il a visité entre deux entraînements. Un foot business où les intérêts en jeu sont phénoménaux. Les coups bas, les magouilles, les petites crasses entre amis, les manœuvres du foot n’ont rien de différent de celles des requins de la finance. En arrière-plan de cette affaire, on sent bien la lutte pour le pouvoir au sommet du foot français. Derrière l’affrontement de certaines personnalités de la génération de 1998 – les Zidane ou Lizarazu – et des vieux chefs de la Fédération française de football amenés par Escalette, il y a des intérêts financiers et politiques divergents. C’est la preuve, s’il en était encore besoin, que le fric pervertit tout.Le football est un sport populaire né dans la classe ouvrière anglaise du xixe siècle. C’est le seul qui soit véritablement mondialisé. C’est aussi un mouvement associatif puissant, basé sur une armada de bénévoles et qui procure du plaisir à des millions de jeunes. C’est parfois l’occasion de manifestations de fraternité populaire, comme en témoigne le sifflement bruyant mais joyeux des vuvuzelas ou la descente en masse dans les rues de France d’une foule bigarrée pour célébrer la victoire « black, blanc, beur » de 1998. On en est bien loin aujourd’hui. Pire même, cet épisode peut alimenter à divers titres le délire nationaliste. Envoyée spéciale de Sarkozy au Mondial, Bachelot en appelle au « sursaut national », à « l’honneur de la patrie ». Des thématiques qui peuvent aussi servir l’extrême droite, prompte à fustiger les joueurs mercenaires « apatrides » recrutés parmi la « racaille » des quartiers immigrés. Du côté du pouvoir ou de Le Pen, tout est bon pour occuper les esprits, utiliser le racisme pour diviser, faire sonner les trompettes de la patrie pour faire oublier le chômage, la précarité, l’austérité, les 10 millions d’Africains qui meurent de faim, bref, la vraie crise. Fred Borras1. Chiffre de 2009, tirés du site de l’Observatoire des inégalités (inegalites.fr).