Publié le Samedi 16 juillet 2011 à 09h48.

Mettons fin au forfait-jours !

Au moment où une partie de l’UMP revient à la charge contre les 35 heures, une décision de la Cour de cassation met en lumière les larges possibilités offertes par les lois Aubry. La presse économique et sociale est en émoi : la Cour de cassation, en rendant un arrêt favorable à un salarié exigeant le paiement d’heures supplémentaires, aurait fourni la base juridique d’un contrôle des heures supplémentaires effectuées par les cadres au « forfait-jours ».

Le forfait-jours permet aux cadres « autonomes » de déroger à tout calcul des horaires à la journée, pour en revenir à un calcul annuel. Plus de limites journalière (durée maxima du travail de 10 heures) ni hebdomadaire (maxima de 48 heures). Il ne reste que la contrainte de 11 heures de repos quotidien. Le forfait-jours peut donc amener des cadres à travailler 13 heures par jour pendant six jours consécutifs. Le salarié étant subordonné, seul l’employeur est maître de ces horaires. Dans l’absolu, il est possible de travailler 2 380 heures dans l’année au lieu de 1 607 heures (la durée légale actuelle), et comme on ne compte plus les horaires puisqu’il s’agit d’un forfait, les heures supplémentaires ne sont ni décomptées ni majorées.

Depuis 2002, la législation a étendu le forfait-jours : alors qu’il était limité aux cadres dits « autonomes », il s’applique maintenant à tous les cadres, même ceux dont l’horaire était antérieurement calculé et prédéterminé. Ensuite, il a été étendu aux « salariés itinérants » : commerciaux, VRP, agents d’entretien, livreurs, déménageurs... Et, en plein été 2005, un amendement voté en catimini à l’Assemblée nationale a enlevé le mot « itinérant » : le forfait-jours peut s’appliquer dorénavant à tous les salariés. Selon le ministère du Travail, il concerne aujourd’hui 11,6 % des salariés à temps complet, soit plus de 1,5 million de personnes.

Le dispositif créé par Martine Aubry avait été peu contesté par les confédérations syndicales lors du vote des lois sur les 35 heures afin ne pas gêner le gouvernement de gauche plurielle. Il s’inscrivait pleinement dans la logique d’annualisation et de flexibilisation du temps de travail réclamé à cors et à cris par le patronat avec en prime des allègements de cotisations sociales. Pire, un accord signé en 2000 dans la métallurgie par FO, la CGC et la CFTC, anticipait sur les aspects les plus nocifs de la loi Aubry et mettait en place une nouvelle grille de qualifications ouvrant la voie au « tout forfaits-jours ». Dans les entreprises, ces syndicats avec la CFDT signaient ou faisaient approuver par référendum des accords qui entérinaient les dispositifs non seulement pour les cadres mais aussi les ouvriers qui votaient contre (Michelin).

Aujourd’hui la CGT « n’est pas défavorable au forfait-jours, tant que les cadres peuvent maîtriser et organiser leur travail de manière autonome ». Malgré tout le syndicat des cadres Ugict-CGT et la CGC ont entamé des démarches juridiques au niveau français et européen pour que les horaires des cadres soient contrôlés et les heures supplémentaires payées. C’est ainsi que le Comité européen des droits sociaux avait à plusieurs reprises condamné la législation française pour atteinte à la santé des travailleurs. Une condamnation plus radicale du forfait-jours par la Cour de cassation aurait pu entraîner des recours de salariés allant jusqu’à... 100 milliards d’euros et le Medef envisageait de se retourner contre l’État !

Le temps de travail doit être le même pour tous, 35 heures par semaine, en respectant les maximas journaliers et hebdomadaires, avec paiement des heures supplémentaires dès la première heure effectuée. C’est une question de santé au travail et un moyen de réduire le chômage. La prétendue autonomie n’est qu’une duperie et un moyen d’échange contre une implication sans limites des salariés. Avec les téléphones et ordinateurs portables et les systèmes GPS, le contrôle est permanent et supprime toute frontière entre le temps privé et le temps professionnel étendu aux soirées et aux week-ends.

C’est une tout autre organisation du travail qu’il faut mettre en place dans laquelle chacun sera décisionnaire tant au niveau des objectifs que des moyens de production.

Robert Pelletier