En juillet 2020, alors que le monde entier était en émoi après le meurtre de George Floyd, Gérald Darmanin, qui officiait déjà en tant que ministre de l’Intérieur, déclarait « Quand j’entends le mot “violences policières”, moi personnellement, je m’étouffe ». L’air a dû lui manquer cruellement depuis fin juin !
La mort de Nahel a révélé avec brutalité ce qui est là depuis des années, voire des décennies : les violences policières ciblées sur les mouvements sociaux ou les habitantEs des quartiers populaires, avec leur cortège de préjugés autoritaires et racistes.
Pour la première fois, grâce à une vidéo amateur, il a été possible de contester la « parole d’un flic ». Pour la première fois, une Première ministre a dû concéder que l’intervention « n’est manifestement pas conforme aux règles d’engagement de nos forces de l’ordre ».
Mais combien de Nahel n’ont pas été filmés ? À commencer par Alhoussein Camara mi-juin à Angoulême. Combien de policiers ont fait des faux en écriture… comme celui qui a tué Nahel ?
Cette exigence de vérité et de justice qui parcourt les quartiers populaires depuis des décennies, qui les enflamme littéralement à intervalles réguliers, depuis Vaux-en-Velin en 1990, ne trouve pas de réponse satisfaisante.
La police et le racisme
Pour Yassine Bouzrou, avocat de la famille de Nahel, mais aussi de Zineb Redouane et d’Adama Traoré, « il n’y a pas de problème policier en France, il y a un problème judiciaire »1. Selon lui, c’est la justice qui protège les fonctionnaires mis en cause et qui crée un sentiment d’impunité. Pour d’autres, l’augmentation sans précédent des décès consécutifs à un « refus d’obtempérer » depuis quelques années est liée à la loi Cazeneuve de 2017 qui assouplit pour les policiers l’usage de leur arme. Pour certains, il y aurait certes du racisme parmi les fonctionnaires de police, mais l’institution ne serait pas touchée… Pour nous, le racisme dans la police est systémique2. Cela ne veut pas dire que tous les agents sont racistes, mais que l’institution qui a vocation à maintenir l’ordre social et voit son poids accru en cas de crise politique, encourage et protège le racisme et les violences policières.
Le communiqué d’Alliance et d’Unsa Police félicitant les « collègues qui ont ouvert le feu sur un jeune criminel de 17 ans » et décriant les « nuisibles » et les « hordes sauvages », et qui n’a été dénoncé par aucune instance, est un signe de l’imprégnation du racisme et de la violence dans la police, significatives de la progression du fascisme en France.
C’est un peu tout cela à la fois contre lequel une partie de la jeunesse des quartiers populaires s’est soulevée… pour la vérité et la justice, contre le racisme.
Aux ordres des dominants
Le racisme de la police intervient sur fond de services publics dégradés : école, santé, mais aussi justice, alors que les inégalités sociales sont grandissantes, les conditions de travail se dégradent, la pression à la baisse sur les salaires s’accroit, et le politique n’offre que des réponses comptables, répressives et en faveur des plus riches.
Et le racisme continue de reléguer une partie de la population. Ainsi, une étude de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) de 2021 montre ainsi qu’« en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française ».3
L’autoritarisme grandissant en Europe et en France ne fait qu’accentuer les phénomènes. Quand l’État oppose les « violences urbaines » aux « violences policières », pour se poser en garant de l’ordre, nous ne voyons que trop bien à quel « désordre » il veut rallier la majorité. Quand l’État criminalise les écologistes radicaux, aussi.
Désarmons la police
Nous ne sommes pas de cette gauche qui appelle au calme. Non seulement nous comprenons la révolte, mais nous pensons qu’elle est légitime et qu’elle est politique. Il n’y a pas d’un côté les parlementaires ou les intellectuels qui font de la politique et de l’autre les « émeutiers », transformés par les chaînes d’info en pillards, n’ayant rien à dire. « Le propre de l’émeute, c’est une façon de dire des choses qu’on ne peut pas dire autrement », rappelle justement l’anthropologue Alain Bertho4.
Et si le débat est désormais lancé sur les violences policières, c’est avec une grande rapidité que la meute des idéologues et leurs serviteurs n’ont eu de cesse de l’étouffer, de souffler sur le ressentiment des « braves gens » en annonçant vouloir faire payer les dégâts aux parents des mineurs interpellées, en laissant aux racistes de la droite, de la droite extrême et de l’extrême droite le champ libre pour poursuivre la diversion des vrais enjeux de société que sont le travail, les salaires et les services publics, avec leur discours de haine.
Un grand défi se pose au mouvement ouvrier, ses partis, ses syndicats et ses associations : s’unir, poursuivre à la rentrée ses actions de soutien engagées notamment le 8 juillet au côté du collectif Adama Traoré et le 15 juillet au côté du Collectif national contre les violences policières, et mobiliser largement.
Contre le racisme, le racisme d’État, les violences policières et la justice expéditive, nous réclamons le désarmement de la police au contact des populations et l’amnistie pour les personnes interpellées lors des révoltes. Et nous ne nous tairons pas…
- 1. Entretien donné au Monde, le 5 juillet 2023.
- 2. Julien Salingue, « Police et extrême droite, l’œuf et la poule », l’Anticapitaliste n° 670, 13 juillet 2023.
- 3. Émilie Arnoult, Marie Ruault, Emmanuel Valat, Pierre Villedieu, « Discrimination à l’embauche des personnes d’origine supposée maghrébine : quels enseignements d’une grande étude par testing ? », Dares analyses n°67, 24 novembre 2021.
- 4. Alain Bertho, « Plus le pouvoir prendra des coups, plus il sera dangereux », Regards.fr, 30 juin 2023.