Publié le Mardi 23 juin 2015 à 07h40.

« Salle de shoot » : besoin sanitaire, offensive réactionnaire

Une « salle de consommation à moindre risque » (SCMR), communément appelée « salle de shoot », surtout par les opposants, est un lieu destiné aux plus marginalisés des consommateurs de stupéfiants...

Elle a pour vocation de réduire les risques liés aux injections sans hygiène (VIH, hépatite C…), de renouer avec les consommateurs un lien social souvent anéanti, et de diminuer les nuisances dans l’espace public.Il existe plus de 90 salles de ce type dans le monde. La première créée en 1986 à Berne est l’un des piliers essentiels de la politique de la Suisse en matière de drogue, où il existe actuellement une quinzaine de salles. Ce dispositif fonctionne avec des résultats positifs en Espagne, en Allemagne, au Luxembourg, au Danemark, en Norvège, aux Pays-Bas, au Canada et en Australie. En France, le dispositif fait débat et encore une fois, ce gouvernement cherche à ne pas brusquer la droite réactionnaire adepte du « pas de ça chez moi » et de la stigmatisation perpétuelle des plus faibles.La France essaie depuis 2013 d’ouvrir une SCMR à Paris, dans le quartier de la gare du Nord, haut lieu de la consommation et du trafic de drogues. Cette salle serait gérée par l’association Gaia, association qui fournit déjà aux toxicomanes du matériel stérile, avec des fonds publics. Dans ce quartier, jardin, toilettes publiques et cages d’escalier sont occupés par les toxicomanes, et la cohabitation avec les riverains est problématique.

Ouverture en 2016 ?Un premier projet, boulevard de la Chapelle, a soulevé l’ire des riverains dont la plainte a été jugée recevable par le Conseil d’État le 6 juillet 2013, pour non-conformité à la loi de 1970 sur les stupéfiants. Néanmoins, soutenu par la mairie PS du 10e arrondissement, le gouvernement a relancé le projet, et l’article 9 de la loi de modernisation du système de santé prévoit une expérimentation de 6 ans dans un local situé à l’intérieur de l’hôpital Lariboisière, avec deux infirmières rattachées. Cette salle coûterait 800 000 euros par an, sur un budget total de 388 millions d’euros consacrés à la prévention et à la lutte contre les addictions.La loi doit passer au Sénat pour une adoption à l’automne et une ouverture de salle en 2016. Prudence quand même : au ministère de la Santé, on cherche des garanties... Les autorités annoncent dans le même temps une lutte accrue contre les dealers pour éviter l’effet d’attraction que pourrait générer la concentration de consommateurs.La droite, UMP-Républicains en tête, est vent debout contre ce projet, et prédit l’arrivée de « paradis artificiels officiels », de « première marche vers la dépénalisation », de « zones de non-droit ». Elle s’obstine à défendre l’utilisation d'un bus spécialisé touchant pourtant un très petit nombre de toxicomanes, et prône sevrage et abstinence : des mots vains dans un monde où les drogués sont à ce stade des victimes...Rappelons enfin que le chiffre d’affaire annuel de la drogue représente plus de 300 milliards d’euros dans le monde : le deuxième marché au monde après les armes, 2 milliards rien qu’en France. La drogue n’est pas née avec le capitalisme ni avec la mondialisation, mais le développement de son marché en est à l’évidence un avatar...

Catherine Segala