Publié le Mercredi 11 janvier 2012 à 21h56.

Violences policières : la violence « ordinaire », terreau des violences meurtrières

Vendredi 6 janvier à 5 heures du matin, je suis interpellé en état d’ébriété par la BAC, alors que je cherche un taxi avec deux amiEs d’Act Up-Paris et que nous sommes en train de relever un scooter garé que j’ai involontairement fait tomber. Cela me vaut d’être emmené au commissariat du 3e arrondissement de Paris où, après les formalités d’usage, accomplies sans résistance aucune, j’attends, menotté, sans surveillance particulière, sur un banc dans le couloir des cellules du commissariat, séparé par une simple porte du hall public.

Je me mets à siffler l’Internationale en boucle. Un policier passe la porte venant du hall et me dit « Tu vas t’arrêter, tu emmerdes tout le monde, ceux qui veulent dormir [j’imagine qu’il a dû demander aux occupantEs des cellules] et ceux qui veulent travailler [!] ». Je continue de siffler. Il me dit que si je ne m’arrête pas il va me faire taire. Je lui demande comment, il montre sa main levée. Je recommence à siffler et je me prends une tarte.

Je recommence à siffler et il me demande si j’en veux une autre. Je lui dis « vas-y, ça va se voir ». Il me répond qu’il sait faire, qu’il fait ça dans la rue, qu’il n’a jamais eu de problèmes. Des policiers arrivent à ce moment pour m’emmener pour le contrôle de routine à l’hôpital. Jusqu’au lendemain matin, personne ne réagit quand je dis que je me suis pris une torgnole. Les autres flics baissent les yeux et parlent d’autre chose, le médecin de l’hôpital me regarde à peine et me dit que si ça ne se voit pas ça sert à rien. Je suis ramené dans ma cellule. Ce n’est que quand je sors, quelques heures plus tard que ma plainte est prise. Il faut dire que ça commence à se voir salement. En ce qui concerne le savoir-faire du policier, on repassera : j’ai l’œil comme un œuf, la joue gonflée et surtout une fracture du plancher de l’orbite. Résultat, 12 jours d’ITT. Je ne saurai que dans un à deux mois si l’engourdissement d’une moitié de mon visage est temporaire ou définitif. Alors ?

Pour rien (à moins que siffler ne soit un délit), dans un commissariat, un flic se sent l’impunité suffisante pour claquer violemment quelqu’un. Si j’avais été énervé, si je l’avais insulté voire plus... cette impunité aurait conduit où ? Aux violences mortelles ?

Je suis blanc, de nationalité française, je ne suis plus tout jeune (j’ai 47 ans), je suis un homme, salarié... Si j’avais été jeune, arabe, noir, sans papier, si j’avais été une femme, un homo, un chômeur, on m’aurait fait quoi ? Pour ne citer que l’actualité récente, Wissam est mort à Clermont-Ferrand, les policiers responsables de la mort de Hakim n’ont toujours pas été condamnés comme l’ont rappelé les manifestantEs à Grasse samedi 7 janvier et le parquet de Blois vient de requérir un non-lieu pour le gendarme qui a tué un jeune gitan en juillet 2010.

Ces cas sont les exemples extrêmes qui confirment dramatiquement une règle qui ne fait jamais l’actualité médiatique, celle des violences policières quotidiennes, de routine dans les commissariats comme dans les quartiers. Alors que des caméras de vidéosurveillance se multiplient dans nos rues, c’est dans les commissariats qu’il faut les installer.

Ne parlons plus de bavures : cette violence de la police est le produit d’une politique d’État, des discours des plus hauts responsables de l’État jusqu’à l’absence de sanctions des flics.Beaucoup de ceux et celles qui sont victimes, au quotidien, de cette violence ne peuvent en témoigner pour de multiples raisons. Cette fois, moi je peux. Alors, on va siffler la police. Et il faut que ça s’entende.

Denis Godard