Construire un parti politique féministe alors que nous vivons dans un système capitaliste et patriarcal est un vrai défi, mais c’est une absolue nécessité pour renverser ce système et construire une société écosocialiste.
Cet article se propose de donner quelques éléments sur deux aspects. Tout d’abord les nécessaires interactions avec le mouvement féministe global et d’autre part les enjeux internes concernant la place des femmes dans le parti, en abordant notamment les questions de non-mixité et de violences sexistes.
Une force de notre courant politique est d’être perméable aux mobilisations et aux élaborations propres du mouvement social, notamment sur les questions féministes. Quelles que soient les périodes, l’apport du mouvement des femmes à notre compréhension de la lutte des classes, a été essentiel : droit de vote, droit à disposer de son corps, violences, intersectionnalité, théorie de la reproduction sociale… C’est à la fois un apport des militant·es en dehors du parti mais aussi du fait de notre propre investissement dans le mouvement autonome. L’intégration des questions féministes ne s’est pas toujours faite sans heurts et elle a été possible aussi grâce au rapport de force plus global imposé par le mouvement depuis l’extérieur au parti.
Construire un parti lié au mouvement féministe
L’autonomie c’est la possibilité pour les premières concernées d’élaborer à partir de leur vécu spécifique, de passer de l’individuel au collectif, de construire un discours politique, d’établir leurs revendications et de fixer leur propre agenda de mobilisation. C’est d’ailleurs un des arguments en faveur de la construction d’un mouvement de masse autonome des femmes. Cela ne signifie aucunement un mouvement indépendant du mouvement social dans son ensemble mais bien en interaction avec lui sans lien de subordination. C’est en ce sens que nous participons pleinement à sa construction en tant que féministes marxistes et révolutionnaires.
Si nous construisons loyalement ce mouvement, cela ne nous empêche pas d’y défendre une orientation féministe lutte des classes, c’est-à dire qui fait le lien entre lutte contre le patriarcat et lutte contre le capitalisme, qui comprend les interactions entre exploitation et oppressions. Nous cherchons à construire une direction à ce mouvement autonome et nous y menons des débats afin de convaincre sur notre orientation et la rendre majoritaire. Ce mouvement autonome rassemble des femmes issues de classes et de couches sociales diverses. Le fait d’y militer peut conduire une part des femmes de catégories sociales plus aisées à se radicaliser et à se solidariser de celles des classes populaires. Or la bascule de ces couches aux côtés des travailleuses et des travailleurs est une nécessité pour un processus révolutionnaire. La lutte féministe peut en être l’un des leviers. La résolution de la Quatrième Internationale écrite en 19791 résume ces éléments : « Notre objectif stratégique [est] de participer à la construction d’un mouvement de femmes de masse, de renforcer l’aile ’lutte de classe’ du mouvement des femmes et de recruter les meilleurs cadres au parti révolutionnaire. »
Par ailleurs, comme nous militons aussi dans d’autres cadres (syndicats, associations), nous poussons à ce que ces cadres prennent en compte la lutte contre le patriarcat et cherchent à organiser les femmes en leur sein avec des revendications spécifiques. C’est notamment vrai dans les syndicats en particulier sur la question salariale, c’est-à-dire de la surexploitation des femmes dans le cadre du travail salarié et du travail de reproduction fourni essentiellement par celles-ci.
Cette intervention féministe n’est évidemment pas réservée aux femmes, c’est la tâche de tous les militant·es. En lien avec notre orientation, se pose la question de la place occupée par les femmes et de manière plus générale par tout·es les minorisé·es de genre dans notre parti : proportion de militant·es, prise en compte de leurs aspirations et revendications, non-mixité… Notre implication dans le mouvement féministe nous aide à avancer sur ce point en interne, à contre-courant de la société.
Construire un parti réellement féministe
Aujourd’hui le NPA compte environ un tiers de femmes. Une tranche d’âge est particulièrement sous-représentée, celle des femmes entre 30 et 50 ans, en lien avec le fait d’avoir des enfants. C’est dire si notre organisation subit elle aussi les conséquences de l’oppression des femmes. Pour limiter l’impact politique du manque de femmes dans l’organisation, le NPA a mis en place des quotas : toutes les instances y sont paritaires. C’est nécessaire pour que les questions liées à l’oppression des femmes soient réellement prises en compte, mais cela représente aussi une charge qui s’ajoute pour elles et on parle souvent de la triple journée de la militante : travail salarié, travail domestique, travail militant. Il y a par ailleurs souvent une disparité de répartition dans les tâches, les femmes étant cantonnées aux tâches techniques et les hommes s’occupant des tâches politiques visibles et valorisantes. Pour lutter contre ces tendances, il est indispensable que la répartition des tâches soit discutée dans les instances régulières et démocratiques de l’organisation. C’est une priorité que les femmes et les autres opprimé·es trouvent toute leur place dans notre organisation. Cela passe par la formation pour comprendre et combattre les systèmes de domination, par le partage de la parole dans les débats et la mise en œuvre de nouveaux outils pour aller vers l’égalité entre les militant·es.
Mais cela ne suffira pas et le constat fait déjà en 1979 par la IVe internationale est encore largement d’actualité : « Nous n’avons aucunement l’illusion que les sections puissent être des îlots de la future société socialiste flottant dans un marais capitaliste, ou que des camarades puissent individuellement échapper totalement à l’éducation et au conditionnement qui découlent de la bataille quotidienne pour survivre dans la société de classes. Des attitudes sexistes s’expriment parfois dans les rangs de la IVe Internationale. Mais c’est une condition d’appartenance à la IVe Internationale que le comportement des camarades et des sections soit en harmonie avec nos principes de base. Nous formons les membres de la IVe Internationale à une compréhension pleine et entière de l’oppression des femmes, de sa nature et des voies pernicieuses par lesquelles elle s’exprime. Nous luttons pour créer une organisation où un langage, des plaisanteries, des violences et autres actes phallocratiques ne soient pas tolérés, pas plus que des attitudes et des manifestations de racisme ne sauraient être admises sans réaction ».2
Pour lutter contre le sexisme en interne mais aussi pour élaborer de manière plus générale sur les questions féministes, notre parti s’est doté d’un outil puissant : la non-mixité. Ainsi nos principes fondateurs adoptés en 2009 indiquent : « Dans toutes les instances du parti, les femmes ont toujours l’option de se réunir de façon non mixte, si elles le jugent utile. Ce type de réunions ponctuelles ou régulières peut être un outil important pour le développement d’une culture anti-sexiste dans le parti. » Cet outil lui-même est le produit de la lutte des femmes, dans et en dehors du parti. Organiser notre intervention féministe et nos actions pour que les femmes prennent toute leur place dans notre parti, nous le faisons de bas en haut, avec des commissions spécifiques (qui peuvent être mixtes), du niveau local au niveau national. Les cadres non mixtes ne sont donc pas séparés, ils dialoguent et coopèrent avec l’objectif stratégique du parti.
Depuis quelques années, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) est devenue l’un des points clefs du mouvement de libération des femmes, même si les questions d’avortement ou de salaires restent très présentes. Cette question percute l’ensemble de la société et donc aussi les organisations politiques, syndicales ou associatives et la nôtre parmi elles. La prise en charge des VSS en interne est un enjeu majeur sous peine de voir exploser notre outil militant. Tout est à élaborer puisque la société dans laquelle nous vivons va sur cette question à l’inverse de tous nos principes : à l’opposé de la silenciation imposée aux victimes, nous voulons libérer la parole ; à l’opposé de la relégation en drames passionnels et autres faits divers, nous voulons que ce soit considéré pour ce que c’est : des faits politiques ; à l’opposé d’une justice laxiste et punitive, nous voulons une prise en charge réparatrice et éducative. Comme l’indique Aurore Koechlin3, la société telle qu’elle est induit « [qu’]on n’analyse plus les bases économiques, politiques, sociologiques, structurelles des dominations mais qu’on ne les pense qu’en termes de ’privilèges’, c’est-a-dire très exactement de symptômes individualisés d’un système global. » Elle poursuit en constatant « un phénomène de moralisation de la politique et culpabilisation des individu·es qui ne peut aller qu’en s’amplifiant [...]. Cette approche débouche logiquement sur une politique de purification, fondée [...] sur la construction d’espaces ’safe’, mais aussi du ’call-out’4. » Notre objectif est évidemment d’éviter cet écueil et d’élaborer une prise en charge globale des VSS qui soit conforme à nos convictions. Comme l’indique le protocole interne du NPA, adopté en novembre 2023, nous cherchons à prendre des mesures « nécessaires et utiles pour les victimes [qui] améliorent le fonctionnement de l’organisation et la formation de l’ensemble de ses membres [et qui] permettent une prise en charge de l’agresseur ». Le protocole précise : « En effet, il ne s’agit pas de prendre des sanctions visant à punir, mais de tenter de réparer, de militer au mieux dans les meilleures conditions, et de progresser politiquement. » Notre prise en charge des VSS se place dans le cadre de notre objectif plus global de transformer les individus et la société, et donc notre organisation dans le même mouvement.
À l’approche de ce 25 novembre 20245, nous pouvons mesurer les avancées conquises ces dernières décennies par les militant·es féministes dans la société et dans les organisations auxquelles elles appartiennent. Mais le backlash6, les reculs enregistrés sur l’accès à l’avortement ou la place des femmes dans certains pays, sans parler des situations de guerre comme en Palestine ou en Ukraine, nous rappelle à la fois la solidarité internationale absolument nécessaire pour faire avancer la cause des femmes et les reculs immenses qui nous menacent tou·tes. Soyons fortes et déterminées, partout, tout le temps !
- 1. Pour les résolutions de la IVe internationale sur les questions féministes, voir Libération des Femmes & Révolution Socialiste - Documents de la Quatrième Internationale, édité et présenté par Penelope Duggan sur le site iire.org.
- 2. ibid.
- 3. Aurore Koechlin La révolution féministe. Édition Amsterdam, 2019.
- 4. Le call-out est le fait de révéler publiquement des noms d’auteur de VSS.
- 5. Le 25 novembre a été choisie en 1999 par l’ONU comme Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, en mémoire des sœurs Mirabal, engagées contre la dictature en République dominicaine, emprisonnées et torturées suite à leurs actes militants.
- 6. Le backslash est le retour de bâton réactionnaire et masculiniste contre la dernière vague féministe.