Publié le Dimanche 19 juin 2011 à 08h24.

Essai. Insoumission poétique Tracts, affiches et déclarations du groupe de Paris du mouvement surréaliste 1970-2010, présentés par Guy Girard

Une rumeur insistante, qui avec le temps a pris la pesanteur et la consistance granitique du dogme veut que le surréalisme ait disparu, comme mouvement et comme action collective, en 1969. Or, il n’en est rien : par l’action d’un petit groupe à Paris et des équivalents dans plusieurs autres villes de la planète, l’aventure surréaliste se poursuit jusqu’à aujourd’hui.

C’est donc tout naturellement que ce troisième volume de tracts et déclarations surréalistes parisiens - organisé avec un travail d’orfèvre par le poète et peintre Guy Girard – prend la suite des deux volumes, couvrant la période 1924-1969, publiés dans son temps par José Pierre. Un bref historique de ces années post-1969, sous le joli titre Le fil rouge dans la corde à sauter, se trouve en tête du nouveau livre, richement illustré par les artistes du groupe et quelques-uns de leurs amis de Prague et d’ailleurs.

Le point de départ est une enquête, « Rien ou Quoi », lancée par Vincent Bounoure en 1969. Peu après paraît le Bulletin de liaison surréaliste, dont le premier éditorial (septembre 1970) est signé de Jean-Louis Bédouin, Jean Benoit, Vincent Bounoure, Jorge Camacho, Joyce Mansour, Michel Zimbacca. Au fil des années, beaucoup d’autres noms viendront les rejoindre. Certains, comme Michel Lequenne, se reconnaissent dans le trotskysme ; d’autres, comme Aurélien Dauguet, Marie-Dominique Massoni ou Guy Girard, dans l’anarchisme. Mais ce qui leur est commun c’est l’adhésion à cette insoumission poétique surréaliste, qui ne saurait être réduite à aucune « ligne » politique.

Les sujets qui ont inspiré les tracts et déclarations collectives sont très divers ; citons, dans un joyeux désordre, une polémique philosophique avec Jürgen Habermas ; la dénonciation des guerres du Golfe ; la menace d’exécution de Mumia Abu-Jamal ; la lutte des sans-papiers ; l’affaire Battisti ; le soulèvement des zapatistes. « UBush », Foetididas Sua le Pape Jean-Paul II, « Hiro-Chirac » et autres personnages peu ragoûtants en prennent pour leur grade. Pour jeter un peu de sable dans les engrenages bien huilés de la culture, on fabrique un faux « Octavio Paz » se solidarisant avec les indigènes du Chiapas et un faux prospectus pour l’exposition « Révolution surréaliste » du Centre Beaubourg - énième tentative de dissoudre le surréalisme dans la cire des musées. Et pour embellir les murs de Paris, on colle un peu partout des affiches poétiques/subversives, avec des dessins et des « mots d’ordre » tels que « Merveilleux sexuellement transmissible » ou « Faites sonner toutes les rivières. On n’a pas encore assez douté des mouvements de la réalité ».

Ce dernier semble avoir été inventé exprès pour les protestations des indignados espagnols…Utopie fragile quoique tenace, le surréalisme ne cesse d’opposer, comme le montrent ces textes et ces illustrations, le cristal translucide de l’imagination poétique à l’opacité polluée de la civilisation capitaliste occidentale.

Michael Löwy

Le Temps des Cerises, 251 pages, 25 euros