Il ne manque pas de journalistes ou de personnes pour nous interpeller, « oui, tout ça, c’est très bien, mais c’est totalement utopique ». Une façon qui se veut sympathique et élégante, cependant un peu condescendante... de clore la discussion, de disqualifier par avance nos arguments. Nos idées, notre programme, nos perspectives seraient utopiques. La messe est dite !
Le mot « utopique » ne nous gêne pas en soi, nous sommes même tout à fait disposés à l’assumer à condition de bien le comprendre. Le terme utopia est un mot forgé par Thomas More en 1516 pour désigner la société idéale qu’il décrit dans son œuvre écrite en latin, Utopia. Le sens d’« utopie » est littéralement « sans lieu », « qui ne se trouve nulle part ». Thomas More a lui même utilisé un autre mot, Eutopia pour désigner le lieu imaginaire qu’il a conçu. Le préfixe eu signifie « bon ». Eutopie signifie donc « le lieu du bon ». Un lieu qui n’existe pas sur terre !
Changer le monde, ici et maintenant
Depuis et même avant, de nombreux utopistes, de Platon à Fourrier, ont décrit une société future en rupture avec la société de classes et d’oppression. Cela leur a souvent valu de graves ennuis, en particulier avec les autorités religieuses comme par exemple Campanella, un contemporain de Galilée, auteur de la Cité du Soleil, torturé et condamné à 27 ans de prison...
Bien des journalistes bien pensants qui nous qualifient d’utopistes sont le plus souvent plus respectueux des religions. Ce qui les ennuie en réalité, ce sont les utopies bien terrestres qui expriment une contestation, la volonté de changer le monde.
Le marxisme est né comme un dépassement de ce que l’on appelait alors le socialisme utopique. Il décrivait les bases matérielles et les forces sociales capables de réaliser, hic et nunc, le légitime rêve d’une autre société juste et humaine. Le socialisme n’était plus alors une indignation ou une aspiration morales, mais bien un combat politique enraciné dans la réalité des luttes de classes. L’utopie devenait la contestation de l’ordre social ne se limitant pas à un idéal inaccessible, ou supposé tel, mais une perspective concrète pour aujourd’hui et maintenant. Le socialisme devenait l’utopie enfin réalisable sur terre.
Pour une société débarrassée de l’exploitation et de l’oppression
Ce qui à nos yeux est totalement irréaliste est de croire que l’on peut amender le capitalisme, le réformer, irréaliste et surtout mensonger. La politique des classes dirigeantes est soumise à des logiques qui dépassent le choix individuel et face auxquelles la simple volonté, même la plus sincère, est bien impuissante. La logique du profit, de la concurrence s’impose à eux, leur dicte leurs actes. L’État s’est forgé à travers les guerres – guerres impérialistes, guerres coloniales, guerres sociales – une machine qui est bien incapable de se reconvertir pour mener une politique ne serait-ce qu’un tant soit peu favorable aux oppriméEs. Et les Ghosn and co perçoivent des millions pour mettre au service de cette monstrueuse logique leur intelligence perverse.
Les rapports sociaux capitalistes fondés sur l’exploitation, les États qui les perpétuent, devront être renversés, de façon très réaliste, à travers les luttes de classes mobilisant des millions de femmes et d’hommes pour conquérir le droit de vivre libres et dignes.
Les classes populaires ont pu expérimenter toutes sortes de promesses politiques et vérifier leur vanité, leur impuissance à changer les choses. Ce sont bien ces promesses qui sont « utopiques » au sens où elles sont totalement irréalistes, de simples vues de l’esprit destinées à aveugler les consciences. Ainsi , ce qui est « utopique », c’est de croire que la destruction des droits sociaux va permettre de lutter contre le chômage, alors que de toute évidence la seule réponse à ce drame serait de partager le travail entre toutes et tous, seule proposition réaliste.
Oui, nous avons fait un rêve, celui d’une société débarrassée de l’exploitation et de l’oppression, une société fondée sur la solidarité et la coopération des humains, sur l’égalité des sexes, ayant liquidé les privilèges sociaux ou nationaux. Ce rêve est fondée sur l’évolution des sociétés humaines, des sciences et des techniques, des connaissances, des rapports sociaux... Une utopie parfaitement réaliste.
Yvan Lemaitre