1- La situation est marquée par l’affrontement entre le monde du travail et le gouvernement autour de la loi travail. Mais l’affrontement dépasse la question de la seule loi El Khomri. En effet, la bataille cristallise également la colère contre l’ensemble de la politique du gouvernement et la crise telle qu’elle est ressentie par une majorité de travailleurs/euses. L’accumulation de déceptions provoquées par la politique pro-patronale du gouvernement lui a coupé pratiquement toute base sociale à part dans les secteurs les plus élevés de la bureaucratie de quelques syndicats. A gauche, et même dans le PS, de larges secteurs prennent leurs distances avec le gouvernement Valls. La « pétition De Haas », la préparation du 9 mars par des équipes intermédiaires de l’appareil CGT, ou les sondages donnant une popularité très faible à Hollande, Valls et leur loi en sont l’illustration.
La direction confédérale de la CGT a été amenée, petit à petit, en raison de l’intransigeance du gouvernement, à un affrontement national avec le gouvernement. Les tentatives de la direction confédérale, comme celle des frondeurs, de trouver un compromis ont été accueillies par un « non » catégorique de Valls, qui pousse la direction confédérale de la CGT à continuer la mobilisation et à augmenter la pression.
2- Le gouvernement applique une répression inégalée à ce jour, même par les gouvernements de droite. Il est en effet allé jusqu’à casser physiquement Nuit Debout, à prononcer des interdictions individuelles de manifester, à frapper et à blesser les manifestants et à attaquer les cortèges syndicaux les moins combatifs. La répression est telle que l’ONU même se penche sur son ampleur. Tout cela confirme, après l’exemple de la Grèce, de l’Italie et des gouvernements Villepin puis Sarkozy, la marche à un « Etat fort » dans de nombreux pays à tradition démocratique. Le projet de la bourgeoisie est de restreindre fortement les capacités de révolte de la classe ouvrière et de la jeunesse.
Les violences et les provocations policières ont aussi pour but de diviser et affaiblir la mobilisation en criminalisant une partie des manifestantEs en particulier dans la jeunesse. Cette violence est un mode de gouvernement utilisé sciemment par ceux qui n'ont aucune légitimité pour imposer leur politique. Nous devons répondre à cette question à plusieurs niveaux :
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participer et impulser les mobilisations contre les violences policières, et pour la défense des militantEs poursuiviEs,
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faire en permanence le lien entre les différentes dimensions de la politique du gouvernement : offensive néolibérale contre les droits et protections sociales, État d'exception et racisme,
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comprendre que la situation globale (et pas seulement les violences policières, mais aussi la violence du 49-3, la rupture avec les formes de représentation politique...) pousse des franges de plus en plus large à vouloir en découdre
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voir aussi que très largement parmi les manifestantEs il y a une « compréhension » à l'égard de ceux qui s'en prennent aux locaux du PS ou aux banques (les 2 cibles favorites)
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analyser les groupes qui ont une stratégie politique fondée sur les affrontements avec la police et défendre face à ceux qui veulent l'imposer à l'ensemble du mouvement la nécessité pour le mouvement de décider et maîtriser lui-même l'usage éventuel de formes de violence qu'il jugera légitimes.
3- Aujourd’hui, le niveau de la mobilisation n'est pas encore suffisant. On ne retrouve pas les manifestations monstres de 2010. Les services publics qui faisaient alors le gros des manifestations n’étant pas directement concernés par la loi travail, cela crée des difficultés importantes pour mobiliser, malgré une politique volontariste dans certains secteurs mais absente au niveau central de la part des directions syndicales. Le secteur qui aurait dû logiquement être en pointe dans la mobilisation est le secteur privé, mais c’est celui où il est le plus difficile de se mettre en grève, d’organiser des assemblées générales, d’aller en manifestation. Cependant dans des entreprises du privé (petites entreprises, commerce, santé...), la mobilisation est réelle et souvent inédite. L’impulsion donnée par les journées d’action de l’intersyndicale nationale n’est pas assez forte pour permettre cette mobilisation difficile.
Le mouvement dans la jeunesse a rythmé la mobilisation jusqu’aux vacances d’avril, mais les examens puis les vacances universitaires, ainsi que la répression contre les lycéens, ont arrêté ce qui constituait le moteur de la mobilisation sans qu’un autre se révèle immédiatement.
4- Depuis mi-mai, le mouvement est entré dans une nouvelle phase. La journée du 19 a vu la mobilisation se maintenir, voire s'amplifier dans certains secteurs. Les blocages des zones industrielles et en particulier des dépôts de carburants se multiplient. Face à ce gouvernement qui passe en force, il faut hausser d'un cran la confrontation, bloquer l'économie. Ces blocages de la Normandie aux Bouches-du-Rhône avec la présence de dockers, de camionneurs et de centaines de salariéEs des zones concernées ont des conséquences sur l'activité économique et industrielle.
A l'appel principalement de la fédération CGT des industries chimiques et suite aux décisions des AG, les principales raffineries du pays se mettent en grève. Avec la réduction drastique et durable de la production de carburant un nouveau pas dans l'affrontement est franchi. Le rapport de force change. Mais les salariés des raffineries ne peuvent pas gagner seuls pour tout le monde. En 2010, la droite avait utilisé l'arme de la réquisition contre ceux de la raffinerie de Grandpuits, le gouvernement actuel ne vaut pas mieux. Il y a fort à craindre qu'il n'hésite pas plus à bafouer le droit de grève qu'il ne l'a fait pour le droit de manifester. Le blocage et la grève des raffineries peut être un point d'appui pour le développement de la mobilisation de l'ensemble des salariéEs du privé comme du public.
Nous devons saisir cette occasion. C'est ce que font les cheminots qui ont décidé de reconduire leur grève dans plusieurs dépôts et gares. L'extension de la grève à d'autres secteurs, dénoncée par le patronat, est redoutée par le gouvernement qui essaie de l'éviter en tentant de rassurer les routiers sur le paiement des heures supplémentaires ou les cheminots sur la pérennité de leur accord d'entreprise. Il multiplie les annonces, pour les collectivités territoriales, les intermittents, les enseignants, pour tenter d’éteindre l’incendie.
A la SNCF, la direction fédérale a tenté d’empêcher les liens entre loi El Khomri et réforme ferroviaire, et décourage les grévistes avec les grèves d’une journée puis de 48 heures. Mais le lien s’est fait, petit à petit, sous la pression des secteurs mobilisés dans cette période, car une bonne partie des cheminots veut en découdre.
5- La question fondamentale est « comment gagner ». L’épisode du 49-3 a montré qu’il n’y a pas d’issue parlementaire à la situation. Les députés Front de gauche ont voté la motion de censure de la droite, mais les frondeurs du PS l’ont refusé, et la censure a échoué de 42 voix. Nous avons interpellé, et le referons, ces courants en indiquant que, pour nous, il faut empêcher la loi travail de passer par tous les moyens nécessaires, y compris parlementaires. Cette position permet justement de montrer que seule la mobilisation peut en réalité arrêter le gouvernement.
Les journées de grève se succèdent maintenant sans qu’une mobilisation de masse soit au rendez-vous. Ce sont des secteurs minoritaires qui agissent, avec le soutien passif de la très grande majorité des salariés. Le gouvernement tente sans succès pour le moment de diviser entre grévistes et « salariés pris en otages ».
Cela indique, pour nous, la voie à suivre : il n’y a pas d’autre possibilité pour gagner que d’homogénéiser le camp des travailleurs, que les secteurs les plus militants tournent toute leur énergie vers la mise en mouvement des secteurs qui le sont moins. Nous défendons la grève générale comme la meilleure méthode de combat, la plus efficace pour gagner, et, aujourd’hui, la grève reconductible des secteurs où ce n’est pas minorisant, mais nous construisons les journées de grève (les « temps forts ») qui permettent à la grande masse des salariés d’agir et de prendre confiance dans leur propre force.
Notre vision de l’auto-organisation a pour sens le pouvoir des travailleurs. Mais pour la grande majorité des salariéEs, elle n’est ressentie comme utile que lorsque c’est un outil pour agir et unifier le mouvement. Notre politique de front unique a pour but de rassembler tous ceux qui veulent se battre, y compris les secteurs syndicaux qui ne sont pas en pointe de la mobilisation. Elle doit avoir comme préoccupation permanente de se battre contre la division au sein du mouvement ouvrier.
Nuit Debout République a été affaibli par la répression, CQFD n’a jamais franchi de cap militant, mais ces tentatives correspondent à la nécessité de mobiliser les travailleurs en dehors des entreprises où il y a une présence syndicale forte. Pour nous, là aussi, la priorité est de massifier le mouvement et discuter des modalités de lutte, des échéances militantes, etc. La priorité actuelle est la construction du rapport de forces, avec tous ceux qui le souhaitent, pour un mouvement d’ensemble du monde du travail. La situation n’est pas stabilisée, les ricochets parlementaires entretiennent un climat de contestation. L’entrée en grève des raffineries modifie la situation d'autant qu'une frange significative refuse de s'avouer vaincue, toute la difficulté tient à la nécessité d’allier radicalité et souci d'élargir la mobilisation, de convaincre de se mettre en grève.
6- Sur le plan politique, le gouvernement a lié, par le 49-3, son existence-même à cette loi. La répression a aussi montré sa nature de classe, le fait que ce gouvernement est entièrement dévoué à la bourgeoisie. Nous avançons donc l’idée qu’il faut dégager ce gouvernement. La mobilisation montre aussi l’étendue du fossé qui existe entre la représentation politique, parlementaire en particulier, et les travailleurs. La politique du gouvernement montre aussi qu’il n’y a pas de solution à la crise du système sans une rupture avec les partis et le personnel politique qui l’incarne, car ils n’ont comme projet que de faire perdurer, par tous les moyens, la domination de la bourgeoisie.
C'est la rue, la mobilisation, qui doit approfondir la crise politique. Le sentiment qu’« ils ne nous représentent pas » est profond. A l'illégitimité du gouvernement, nous cherchons à opposer concrètement, physiquement une autre légitimité. Pratiquement il faut réfléchir à la fin de la manifestation nationale du 14 juin autour de l'idée « on reste debout ».
7- A gauche du Parti socialiste, EELV explose sur le positionnement vis-à-vis du gouvernement et l’intégration, dans ces formes les plus caricaturales, à l’appareil d’Etat. Le PCF est divisé entre ceux cherchent un candidat commun avec les frondeurs et les Verts pour la Présidentielle et ceux qui soutiennent d’ores et déjà la candidature de Mélenchon. Le PG a disparu pour mettre toute son énergie dans la campagne de Mélenchon.
L’extrême gauche est affaiblie et divisée, mais il y a des possibilités importantes dans la période, il faut se donner les moyens de les saisir et de modifier la situation. Tout cela doit nous convaincre de reprendre des initiatives politiques que ce soit sur la répression, sur le fait de faire chuter le gouvernement ou pour favoriser l’entrée en lutte de l’ensemble des travailleurs.
La mobilisation pose des questions directement politiques, touchant à la démocratie et au pouvoir. L’attaque du gouvernement, la répression, la confrontation montrent que les intérêts immédiats de la bourgeoisie, sa volonté de casser les droits des salariés entrent directement en contradiction avec les intérêts immédiats, tant sur le plan social que démocratique, de la grande majorité de la population. Nous voulons contribuer à la discussion avec les actrices/teurs de Nuit Debout, les syndicalistes, les militantEs du mouvement social autour de quelques points essentiels pour prendre le pouvoir aux capitalistes et aux gouvernants :
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La réduction massive du temps de travail, l’interdiction des licenciements, un salaire minimum de 1700 euros nets.
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La rupture avec les institutions, en particulier celles de la 5ème république parmi les plus antidémocratiques en Europe qui permettent à un gouvernement minoritaire d'imposer une politique massivement rejetée, qui confisque le débat politique autour d'un homme providentiel quasi-monarchique… en mettant en avant quelques mesures comme la proportionnelle intégrale, la suppression de la présidence de la République, l'interdiction du cumul des mandats, le plafonnement de la rémunération des élus… ; celles de l'Union Européenne qui interdisent toute politique en rupture avec l'austérité…
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Récupérer le pouvoir de décider de nos propres vies et pour cela exproprier les banques et les grands groupes capitalistes qui nous imposent leur productivisme destructeur. Mais aussi se donner les moyens et construire les outils pour décider, produire, contrôler, organiser en commun pour tout ce qui est essentiel : de l'énergie à l'éducation et au logement, de la santé à l'eau, des transports à la nourriture…
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Rien n’est possible si nous, les exploités, ne nous représentons pas nous-mêmes, si nous ne construisons pas notre propre expression, nos propres outils politiques.
Le NPA affirme publiquement ces propositions dans un matériel et une campagne publique du type « Ce que nous souhaitons débattre avec celles et ceux qui refusent la loi travail et son monde ».
À la différence de Mélenchon qui se met en réserve, attendant la fin de la « parenthèse sociale » pour se réaffirmer comme homme providentiel, nous expliquons autour de nous que l’issue politique ne viendra pas du « bon candidat avec son bon programme ». Philippe Poutou, que nous avons désigné comme candidat du NPA, est lui à sa place au cœur des mobilisations pour construire le mouvement social et non pas en réserve de la patrie, car l’issue politique pour les exploités et les opprimés se construira par l’irruption des masses, des travailleurs, par la mobilisation, le rassemblement et l’action politique des acteurs et des actrices du mouvement social. C’est aussi ce que nous défendrons dans les différents débats auxquels nous participerons.