« La République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire ». Cette phrase prononcée par Macron, lors de son allocution du 14 juin, est une véritable imposture qui s’attache à entretenir la confusion entre l’histoire et la mémoire.
Déboulonner une statue ne consiste en effet pas à « effacer l’histoire », à organiser un autodafé dans lequel seraient brûlées les archives. Il s’agit seulement de choisir les personnes à qui nous voulons ériger des statues afin de célébrer leur mémoire. La question est en effet simple : comment qualifier une société qui célèbre la mémoire des racistes ?
La mémoire n’a rien à voir avec l’histoire
La mémoire est un acte politique qui n’a rien à voir avec l’histoire. Elle consiste à choisir dans le passé des événements ou des personnages permettant de fonder les valeurs du temps présent. Tous les pouvoirs ont toujours et partout pratiqué une politique mémorielle. Les Romains soumettaient ainsi certains de leurs empereurs à la « condamnation mémorielle » (damnatio memoriae), en faisant abattre leurs statues et marteler leurs noms sur les inscriptions. De même, les masses russes ont liquidé en 1917-1918 les statues des tsars, pour les remplacer par celles des révolutionnaires dont ils s’inspiraient, de la même manière que les mairies progressistes ont remplacé en France les rues dédiées à la mémoire du boucher Thiers par des avenues Louise-Michel.
Comme tous les gouvernements, Macron mène une politique mémorielle. Lorsqu’il parle de « l’histoire de la République », il utilise la formule traditionnelle que les gouvernements de la Ve République ont mise en place, afin de condamner la mémoire du gouvernement de Vichy. En frappant « d’indignité nationale » ses dirigeants ou encore en n’évoquant que la seule « histoire de la République », les gouvernements français ont en effet choisi de refuser l’héritage de Vichy, même s’ils l’ont souvent fait de manière ambigüe. Cette condamnation de la mémoire de Vichy n’efface en rien son histoire, mais affirme le rejet des valeurs portées par ce régime. Son enjeu est tout sauf mineur, car en condamnant la mémoire de Vichy, c’est l’antisémitisme d’État que les gouvernements français ont choisi d’abolir.
Concilier l’inconciliable ?
Il est incompréhensible qu’il n’en aille pas de même avec le racisme d’État dont les populations issues des anciennes colonies sont victimes. Le fait qu’il puisse encore aujourd’hui exister des monuments à la mémoire de Bugeaud ou de Colbert montre à quel point la France n’a pas réglé la question coloniale, qui constitue pourtant la source du racisme systémique à l’œuvre dans ce pays. Qui pourrait pourtant refuser aux raciséEs le droit à déboulonner ces statues, dont l’existence constitue pour eux une insulte quotidienne ? Comment peut-on en effet prétendre lutter contre le racisme tout en acceptant que des statues puissent être érigées à la mémoire de l’auteur du Code noir ?
Face aux mobilisations des raciséEs, Macron est en difficulté. Il s’attache maladroitement à défendre les statues de Colbert ou Bugeaud au nom de « l’histoire de la République », alors même que ces serviteurs de la royauté n’ont aucune raison d’y figurer. Sa politique est de plus en plus contradictoire. Sous la pression, il a ainsi fini par demander pardon à la famille de Maurice Audin, mais il continue d’accepter que soient érigées des statues à la mémoire de Bigeard. Dans cette même tentative pour concilier l’inconciliable, les macronistes tentent d’expliquer qu’il faudrait « entretenir toutes les mémoires ». Il s’agit là d’une idée particulièrement absurde : comment célébrer à la fois Colbert et Toussaint-Louverture, Bugeaud et Abd-el-Kader, Missak Manouchian et Paul Touvier, Maurice Audin et Marcel Bigeard ? Célébrer c’est choisir et on ne peut à la fois ériger une statue au bourreau et à sa victime.
L’ordre racial demeure
Les gesticulations de Macron, comme les piteuses déclarations des historiens serviles qui viennent sur les plateaux télé défendre contre toute déontologie les statues racistes, nous montrent à quel point le racisme est profondément ancré dans notre société. La condamnation de la mémoire des esclavagistes et des colonialistes devrait être une évidence, mais l’ordre racial demeure si présent dans notre société que ce geste pourtant simple reste inenvisageable pour la bourgeoisie. En abattant les statues des esclavagistes et colonialistes, les masses populaires sont pourtant en train d’écrire l’histoire. Elles s’attaquent en effet aux fondements de l’ordre racial, puisque le racisme d’État ne pourra être démantelé tant que nous vivrons dans une société où il sera possible d’ériger des statues à ceux qui ont en posé les fondements.