Publié le Samedi 18 juillet 2015 à 09h29.

Ils arriveront quand même...

Dans les cas des campements récemment installés à Paris, la plupart des migrantEs sont originaires de pays dits de la Corne de l’Afrique et du Soudan. PasséEs par la Libye (avant d’être à nouveau contraintEs de fuir en raison de l’état de guerre que connaît ce pays) ou non, ils ou elles ont quitté des pays du Nord-Est du continent africain : Érythrée, Soudan, Éthiopie, ou dans une moindre mesure Somalie ou Tchad.

En Érythrée, un régime de fer

Après les SyrienEs (fuyant la guerre civile, la dictature d’Assad et les djihadistes), les ErythréenEs sont aujourd’hui la deuxième nationalité qui entame le dangereux voyage intercontinental à travers la Méditerranée. Un cinquième de la population globale de ce pays – qui compte environ six millions d’habitantEs – a fui l’Érythrée, et 5 000 personnes quittent ce pays chaque mois selon des chiffres fournis par les Nations unies.

Dans de nombreux cas, les facteurs qui poussent les migrantEs au départ relèvent de la responsabilité directe des puissances occidentales. Le cas de l’Érythrée est à cet égard spécifique. Souvent surnommé « la Corée du Nord » de l’Afrique, le régime de ce pays est le produit d’un mouvement de « libération nationale » qui a très mal tourné. Produit d’une guerre de sécession menée contre l’Éthiopie voisine conduite de 1961 à 1993 (alors que le régime éthiopien fut d’abord soutenu par les USA, puis à partir de 1974 par l’URSS et Cuba), le régime actuel est arrivé au pouvoir après trente ans de combat.

Suite à l’indépendance acquise en mai 1993, le nouveau pouvoir, conduit jusqu’à aujourd’hui par Isaias Afwerki, a imposé le système militaire de l’ex-armée de guérilla au pays entier. Dès lors, un tiers du PIB est consacré à l’armée. L’ensemble de la population, hommes et femmes, est contrainte à effectuer un service militaire à partir de l’âge de 17 ans, qui dure en théorie un an et demi… et en pratique parfois jusqu’à l’âge de 40 ans ! Des réfractaires sont soumis à des tortures systématiques, et souvent enfermés dans des prisons sous forme de containers de cargos en métal, ces derniers pouvant être placés dans le désert érythréen, avec des températures dépassant les 50° C…

Alors que politiquement, le régime érythréen est assez isolé au plan international, il attire néanmoins certains investisseurs. La Chine y est économiquement assez présente, et le Qatar prête de l’argent à la dictature. La mafia italienne y garde encore un pied (la conquête coloniale en Érythrée fut d’abord italienne, commencée dans les années 1880 et ce jusqu’à la Seconde Guerre mondiale), et exploite quelques hôtels sur la Mer rouge.

Au Soudan, dictature et violences ethniques

Au Soudan, l’isolement politique du régime est aussi relatif. Certes, le président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 1989, est recherché pour crimes contre l’Humanité par la CPI (Cour pénale internationale), même si aucun pays n’est très actif pour l’arrêter. Mais des grandes entreprises internationales, notamment de l’industrie pétrolière dont le géant français TOTAL, sont présentes depuis des décennies dans le pays. Elles ne sont pas retirées, mais il est vrai que depuis la sécession du Soudan du Sud en juillet 2011, les intérêts pétroliers se trouvent surtout dans le nouveau pays voisin.

Le Soudan, qui était dans les années 1950 encore l’un des pays arabes dotés du plus fort Parti communiste de la région (et d’un mouvement syndical), a depuis connu des décennies de dictature sanglante. Il s’agit essentiellement de régimes à dominante militaire – el-Béchir est lui-même arrivé au pouvoir par un putsch militaire –, accompagnés ou non d’une composante islamiste (dans les années 1990 sous Hassane el-Tourabi).

Au moins jusqu’à l’indépendance du Soudan du Sud, une ligne de « frontière » entre populations arabo-musulmanes d’un côté, et noires, chrétiennes ou animistes de l’autre, traversait le pays et a constitué un facteur de division alimentant des violences extrêmes. Au Darfour, des violences continuent d’opposer populations arabes et noires, sur fond de rivalités entre agriculteurs et éleveurs, et alors que les changements écologiques font que les ressources en eau se raréfient. Une situation qui explique pourquoi de nombreux migrants présents à La Chapelle et rue Pajol sont originaires du Darfour.

Bertold du Ryon