Les quelques-uns qui exercent la gouvernance du monde et qui, uniquement soucieux de préserver les intérêts de leur classe, fabriquent conjointement avec « médias-service » les idées reçues, tiennent tout particulièrement à celle-là : « la libre circulation ou la libre implantation des personnes, c’est une utopie », avec des déclinaisons du type « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde »...
Ils trahissent là pourtant une caractéristique propre aux classes décadentes qui est, dans le désir de tirer le meilleur profit immédiat de leur position de domination, de ne se préoccuper que du court terme et de nier toute alternative. Car sans cela, ils ne pourraient ignorer qu’au-delà du cynisme et de l’inhumanité dont ils font preuve une fois de plus, ils nourrissent un rêve rien de moins qu’insensé en prétendant endiguer éternellement les forces accumulées par la misère de milliards d’êtres humains sur notre planète. Et même dans l’immédiat, comment pourraient-ils imaginer les maîtriser sans dégâts majeurs ?
Pas d’autre issue que la survie
Car la puissance des hommes et des femmes, qui ne présentent pas d’autre exigence que de pouvoir vivre ailleurs que dans les frontières où le hasard les à fait naître, est à terme sans limite. Ils la tiennent de la conscience aiguë que c’est là une question de survie, alors que les guerres se multiplient, que la pression de l’exploitation néocoloniale se fait toujours plus sentir, que la catastrophe climatique s’approfondit.
Cette situation qui ne leur offre pas d’autre issue que de prendre une route souvent mortelle est bien entendu explosive. Quant à l’issue de cette explosion, tout est possible. L’enjeu est historique, les voies du futur indéterminées. Entre brusque révolte d’esclaves qui aurait tout lieu de ne pas faire dans la dentelle et pourrait bien ouvrir une longue période barbare, et soulèvement des damnés de la terre à même d’engager un authentique processus révolutionnaire, l’histoire n’a pas tranché. De même, un jour, l’inéluctable fin de l’ordre capitaliste ne doit pas nous rendre aveugles : le système a déjà fait la preuve de ses capacités de résilience.
Un nouvel ordre contre les frontières
Il reste que l’objectif affiché de « maîtrise des flux migratoires », indépendamment de l’exécrable vision du monde qu’il reflète et des considérations morales qui autoriseraient à le mettre en cause, tient de moins en moins la route. La seule alternative est donc d’imposer la reconnaissance des principes de libre circulation et libre implantation. Nous disons bien imposer puisque nous ne doutons pas que seul l’enclenchement d’un processus révolutionnaire, sous une forme ou sous une autre, permettrait d’y parvenir : en effet, il ne s’agit de rien de moins que l’instauration d’un nouvel ordre mondial.
Car il faut bien avoir en tête que seul l’ultralibéral le plus échevelé ou le libertaire le plus déjanté pourraient imaginer que libertés de circulation et d’implantation ne s’organiseront pas. Le jour où la liberté de circulation sera instaurée, un code de la route sera nécessaire comme sur n’importe quelle voie de circulation. Quand la liberté d’implantation sera reconnue, la répartition des terrains disponibles se fera à l’instar de ce qui se passe par exemple avec des plans d’occupation des sols. Et il n’appartiendra pas à des États, moins encore aux marionnettistes, grands maîtres de l’économie mondialisée qui en contrôlent aujourd’hui les chefs, d’y pourvoir. Ce nouvel ordre ne pourra être mis en place que sous couvert d’organisations supra-étatiques réellement démocratiques qui seraient autre chose que le hochet de 5 grandes puissances disposant à leur gré d’un droit de veto.
Nos mobilisations au quotidien
Nous n’y sommes pas encore mais, en nous situant dans cette perspective, nous sommes tout de même plus respectueux des droits fondamentaux mais également au bout du compte plus réalistes que ceux qui s’arc-boutent contre un mur déjà fissuré de partout et condamné tôt ou tard à s’effondrer dans le bruit et la fureur... pour le pire ou pour le meilleur.
Et il n’est pas de jour où nous ne pouvons contribuer, par nos mobilisations, à avancer dans la bonne direction en luttant contre des gouvernements illégitimes (et au fond déboussolés), contre les exploiteurs de tout acabit, en ne mégotant pas sur notre soutien à leurs victimes et en nous engageant avec détermination aux côtés de celles et ceux qui – réfugiéEs, migrantEs, avec ou sans papiers – ne revendiquent en franchissant nos frontières rien de moins que le droit de vraiment vivre. Élémentaire, non ?
François Brun
Derrière les chiffres, des hommes et des femmes...
Nombre de migrantEs recensés dans le monde en 2013
232 millions (175 millions en 2000), dont :
72 millions en Europe, dont 9,8 millions en Allemagne, 7,5 millions en France et 6,5 millions en Espagne
71 millions en Asie, dont 9,1 millions en Arabie saoudite
53 millions en Amérique du Nord, dont 46 millions aux États-unis (parmi lesquels 11 millions de Mexicains)
19 millions en Afrique (essentiellement intracontinentaux)
8 millions en Océanie
48 % sont des femmes
15 % de moins de 20 ans
Pourcentage des migrations sud-sud de 2000 à 2013
57 %
Pourcentage d’immigréEs dans la population
Qatar : 86 %
Émirats arabes unis, Koweït : autour de 70 %
Arabie saoudite : plus de 30 % (essentiellement indo-pakistanais, pour la moitié de moins de 24 ans)
Australie : 27 %
Canada : 20 %
Espagne : 14 %
États-unis, Allemagne : 13 %
France : 11,6 %
Royaume-Uni : 10 %
Italie : 7 %
Japon : 1,5 %, pour plus de la moitié Chinois et Coréens)
MigrantEs ou réfugiéEs en transit (estimations)
5 millions de réfugiéEs irakiens fin 2009 en Syrie
Près de 350 000 réfugiéEs soudanais au Tchad
Entre 65 000 et 120 000 subsahariens chaque année au Maghreb
Entre plusieurs centaines de milliers et un million de migrantEs de passage en Turquie
3 millions d’Irakiens de passage en Jordanie
1,8 millions de Libyens en Tunisie
Évaluation des réfugiés environnementaux en 2010
50 millions
Projections pour 2050
200 millions
Nombre de demandes d’asile déposées dans toute l’Union européenne
2012 : 332 000, dont 78 000 en Allemagne et 61 000 en France
2013 : 434 000, dont 127 000 en Allemagne et 66 000 en France
2014 : 625 000, dont 203 000 en Allemagne, 81 000 en Suède et 64 000 en France, comme en Italie
Taux de réponses positives aux demandes d’asiles des principaux pays d’accueil potentiels en 2014
Suède : 83 %
Italie : 59 %
Allemagne : 49 %
France : 30 %
Principaux demandeurs d’asile dans l’UE en 2014
Syriens : 123 000
Afghans : 41 000
Kosovars : 38 000
Entrées en Europe par la méditerranée et la Turquie depuis le début de cette année
environ 100 000
Débarquement de migrantEs dans la seule Italie entre 2006 et 2014
Plus de 300 000
Entrées irrégulières comptabilisées par le HCR en Italie et Grèce du 1er janvier au 10 juin 2015
105 000, dont 39 % de Syriens et 8 % d’Érythréens
MortEs en Méditerranée depuis 2000
Sûrement près de 30 000
Sauvetages assurés essentiellement par le dispositif Mare Nostrum en 2014 (supprimé faute de moyens)
140 000
Morts recensés pour les six premiers mois de 2015
Plus de 2 000