Publié le Mardi 12 octobre 2021 à 22h39.

Quelle place pour l’écologie ?

Le vert, le durable, le responsable… sont devenus les figures imposées de toute communication, des entreprises ou des forces politiques. Ces sujets sont devenus incontournables mais est-ce à dire que les urgences écologiques, climatiques et de préservation de la biodiversité sont prises en compte ?

 

La publicité n’en finit pas d’inciter à consommer toujours plus… mais « responsable ». Pour les régions et les métropoles, le développement durable sonne comme une marque pour attirer capitaux et touristes. Les entreprises jouent à plus vert que moi tu meurs…

Total ou l’écoblanchiment jusqu’à la caricature

En se renommant TotalEnergies, le « premier pollueur de France » – ses émissions globales annuelles de gaz à effet de serre atteignent près de 450 millions de tonnes d’équivalent CO2 soit autant que la France – veut se faire une image d’« acteur majeur de la transition énergétique » contribuant « au développement durable de la planète face au défi climatique ». Le groupe s’affiche désormais en éoliennes et panneaux solaires multicolores. Mais s’il ambitionne d’être « dans le top 5 mondial des supermajors de l’énergie verte », il continue ses investissements massifs dans de nouveaux projets d’énergies fossiles. Entre 2015 et 2020, plus de 90 % de ses dépenses d’investissements ont été orientées vers les énergies brunes, et il prévoit de réserver près de 80 % des investissements qui seront réalisés entre 2026 et 2030 à la production de gaz et de pétrole. Début avril, il a lancé des projets pétroliers en Ouganda et la construction d’un oléoduc chauffé de 1 443 kilomètres entre la raffinerie de Hoima en Ouganda et le port de Tanga, en Tanzanie ; le 5 septembre il signe un contrat de 27 milliards de dollars avec l’Irak dont une grande partie consacrée à la production de gaz et de pétrole. En résumé, Total continue le pétrole et se jette sur le gaz. Quant aux renouvelables, l’augmentation des investissements dans le solaire, l’éolien ou les batteries n’empêche pas qu’ils « ne représentent qu’une goutte d’eau dans un océan d’énergies fossiles ». Dans leur rapport intitulé Total fait du sale, Reclaim Finance et Greenpeace France ont calculé que TotalEnergies produit 447 unités d’hydrocarbures pour 1 unité d’énergies renouvelables. Autre grand mensonge de TotalEnergies : le stockage du carbone, soit par sa capture et séquestration, soit par les nature-based solutions (sic !) qui sont des projets de plantation de forêts en Australie, en Amérique du Sud et en Afrique. Comme le dit la porte-parole de Reclaim, TotalEnergies « fait miroiter un monde où il serait possible de faire disparaître comme par magie des émissions qu’on aura sciemment rejetées en refusant de laisser les fossiles dans le sol ».

Et dans les discours politiques

Aucun courant politique ne peut plus se permettre de faire l’impasse sur l’écologie.

Macron ne manque pas une occasion de poser en « Champion de la terre » comme il vient de le faire devant le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille. Pourtant, loi climat réduisant les propositions de la Convention citoyenne à peau de chagrin, détricotage du droit de l’environnement, multiplication des projets d’artificialisation des terres (autoroutes, entrepôts, zones commerciales…), cadeaux aux lobbys de la chasse et de l’agriculture industrielle (néonicotinoïdes, glyphosate…)… la liste des décisions climaticides et écocides est longue. On peut se reporter à l’important travail fait par Reporterre1.

À droite, après une franche hostilité incarnée par Sarkozy lançant « l’environnement […] ça commence à bien faire », Les Républicains doivent tenter de se verdir, à coups de « task force environnement », d’un tour de France… et de « 50 propositions » en vue de 2022 faisant « le pari du développement durable et de la croissance vertueuse », mais fustigeant « les partisans de la décroissance ». La neutralité carbone n’est là que comme argument pour développer le parc nucléaire, prolonger la durée de vie des réacteurs et engager la construction de six EPR de nouvelle génération pendant que le refus de « l’écologie punitive » protège l’industrie automobile et l’agriculture industrielle…

L’extrême droite aussi veut occuper le terrain de l’écologie

Depuis les anciens nazis, racistes, païens et proches de la nature des années 1970, et plus récemment les identitaires, il existe une, voire plusieurs écologies d’extrême droite brassant un « régionalisme enraciné », un refus de la société de consommation et de la technique, une « écologie des populations » prônant « la grande séparation » pour préserver ce qu’ils appellent des blocs ethnocivilisationnels, le refus de la PMA au nom du refus de « la manipulation des corps »… La conversion du Rassemblement National est plus récente. Pour J.-M. Le Pen, ouvertement climato-négationniste, l’écologie représentait « la religion des bobo ». En 2021, il devient impossible de maintenir ce discours et, si le RN soutient le nucléaire et refuse toute idée de décroissance, Marine Le Pen tout en fustigeant ce qu’elle appelle « l’écologisme, un fondamentalisme qui entend en finir avec les mœurs qui sont les nôtres », se présente comme « la candidate des circuits courts et de la relocalisation de la production », et affirme « c’est cela la vraie écologie », une écologie qui se résume à son traditionnel « patriotisme économique » et à un moratoire sur l’immigration.

À gauche, tous écolos… ou presque

Hidalgo, avec sa « République écologique » cherche à disputer ce terrain à EELV. Ses propositions de « décarboner l'économie française et réindustrialiser la France » ou « sortir du nucléaire aussi vite que le développement des énergies renouvelables le permet » symbolisent à elles seules l’inconsistance de cette écologie sociale-libérale.

Mélenchon proclame l’union populaire et écologique. Le document consacré à la planification écologique avance des mesures importantes : sortie du nucléaire, financement des énergies renouvelables, rénovation énergétique, fin des pesticides, souveraineté alimentaire, refus des privatisations… Notre désaccord reste celui exprimé par Daniel Tanuro à propos du « Manifeste écosocialiste » du Parti de Gauche en 2013, sa perspective est « davantage étatiste et centralisatrice qu’autogestionnaire et décentralisée. Elle fait l’impasse sur la nature de classe de l’État, pare la République française de vertus qu’elle n’a pas et présente pour ainsi dire une conception “top-down” de l’émancipation socialiste ».

Côté PCF, son candidat Roussel se drape dans la défense du climat et du zéro carbone pour mieux vanter les mérites du nucléaire et défendre « un renouvellement du parc nucléaire et la mise au point de réacteurs de 4e génération » !

Il ne suffit pas d’être anticapitaliste : le cas Lutte ouvrière

Rares sont les courants qui résistent aussi vaillamment à la vague verte. Au cours des deux dernières années, on cherchera en vain, dans les Exposés du Cercle Léon Trotsky (séances de formation politique), ou parmi les dizaines de tracts hebdomadaires nommés « Éditorial des Bulletins d’entreprises » un seul thème lié à l’écologie.

Et quand Arthaud s’exprime sur ce thème, c’est pour se différencier « de nombreux militants écologistes » en affirmant « nous ne confondons pas la lutte contre les usages [...] de certaines techniques (énergie nucléaire ou organismes génétiquement modifiés dits OGM, par exemple) avec la lutte contre ces techniques elles-mêmes. Pour nous, c’est le fait que ces techniques soient entre les mains de la bourgeoisie et utilisées pour la recherche du profit maximum, sans aucun contrôle de la population, qui les rend dangereuses ». Aucune critique du capitalisme réellement existant, de son productivisme, de ses choix technologiques… L’écologie n’est pas un sujet, il suffit de répéter « le capitalisme menace la société, il faut le renverser ».

Pandémie : Un silence assourdissant

La pandémie de Covid-19 qui bouleverse nos existences depuis près de deux ans met en évidence notre dépendance à l’égard de notre environnement et du reste du vivant. La tendance à l’augmentation des zoonoses depuis plusieurs décennies est due à un cocktail de causes liées entre elles qui ont tout à voir avec la façon dont le capitalisme enferme l’humanité dans une relation de plus en plus prédatrice avec la nature et détruit la biodiversité (industrie de la viande, agrobusiness, déforestation…) Cette « ère des pandémies » impose d’envisager simultanément la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes, mais cette dimension est terriblement absente des analyses comme des propositions.

L’urgence et la radicalité de l’écosocialisme

Pourtant, à mesure que les conséquences des destructions des écosystèmes, du bouleversement du climat, de la dégradation de l’état de l’air, de l’eau, des sols… se font de plus en plus présentes et de plus en plus meurtrières, l’urgence de stopper et de réparer ces dégâts devrait devenir de plus en plus centrale dans toute perspective politique qui se veut émancipatrice. Chaque nouvel épisode met en évidence le fait que ces différents phénomènes ont partie liée avec l’augmentation incessante de la production matérielle et des transports, avec l’accroissement tant de l’appropriation, exploitation, destruction des ressources que la prolifération des déchets et pollutions diverses. Cette constatation rend caduque toute politique qui se contenterait d’ajouter « un volet écolo » à son programme, fût-il révolutionnaire ou anticapitaliste. Ce sont à la fois notre horizon et notre stratégie de rupture révolutionnaire qui doivent s’encastrer dans l’urgence écologique, c’est le sens de l’écosocialisme.

L’imaginaire socialiste a longtemps entretenu la vision d’un progrès social indissociable du progrès scientifique et technique, de l’abondance des biens matériels. S’y articulaient la croyance en un sens de l’histoire, la compréhension de la révolution comme « locomotive de l’histoire ». Désormais nous dirions plutôt, avec Walter Benjamin « Peut-être que les choses se présentent autrement. Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans le train tire les freins d’urgence ».

Aucun avenir désirable ne peut être envisagé si notre société humaine ne se réintègre pas dans les limites biophysiques de l’écosystème. Mais cette transformation radicale de la société n’est possible que par et pour les exploitéEs et les oppriméEs. Il s’agit donc de répondre en même temps aux urgences sociales, écologiques et démocratiques, d’articuler luttes contre l’exploitation, contre les oppressions et contre le productivisme.

Redéfinir et redistribuer tant les richesses nécessaires que les travaux pour les produire est la condition pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et l’épuisement des ressources et en même temps instaurer la justice sociale. Globalement, il s’agit de mettre au centre les activités qui permettent de prendre soin des humains comme de l’ensemble du vivant et de libérer du temps pour les activités créatrices, démocratiques, ludiques…

Pour reprendre le contrôle de nos vies, de nos choix individuels et collectifs, nous devons décliner concrètement le slogan « Nos vies, la vie, pas leurs profits » dans tous les domaines. Dans la santé et l’éducation, pour se nourrir, se déplacer, se loger, se cultiver…, comment s’arracher à la loi du profit et décider démocratiquement de nos besoins et de comment les satisfaire en respectant les limites écologiques ? Répondre à ce défi impose de s’en prendre à la propriété privée et de briser la dictature des groupes capitalistes dans l’énergie, les transports, l’agroalimentaire, la finance, la pharmacie… Cela implique aussi une tout autre conception de la production et du travail, et en premier lieu d’en finir avec le chantage à l’emploi qui est en fait un chantage aux moyens de vivre.

Une politique écosocialiste doit donc articuler réduction massive et partage du temps de travail jusqu’à l’abolition du chômage avec une protection sociale étendue et transformée assurant la continuité du salaire. Pour assurer à chacune et chacun la satisfaction des besoins essentiels, la gratuité doit être effective pour l’accès aux soins et à l’éducation, elle doit être généralisée pour les transports du quotidien, pour les besoins de base en énergie, eau… La notion de sécurité sociale doit être étendue, par exemple à l’alimentation. La gratuité comme la logique de protection sociale permettent de démarchandiser nos besoins, d’en faire non plus des sources de profit mais des questions sociales et écologiques soumises à la délibération, aux choix démocratiques de société. La logique capitaliste rend invisible ou dévalorise une grande partie de ce qui est essentiel à nos vies et qui échappe (encore) au marché : le travail de reproduction sociale effectué dans sa grande majorité par les femmes et ou les personnes racisées ainsi que les services prodigués par la nature. À l’inverse du dogme libéral qui invoque la soi-disant « tragédie des communs » pour accaparer toujours plus, c’est bien la construction de communs, bouleversant la notion même de propriété, qui permet de socialiser le travail reproductif, de conjuguer droit d’usage et devoir de prendre soin de la terre, de l’eau…

L’écosocialisme loin d’un nouveau vernis pour « tout changer pour que rien ne change » est un bouleversement politique, social, culturel…