Entretien. Commandant de bord, Guillaume Pollard est le président du syndicat du personnel navigant technique (PNT) Alter.
Comment réagissent le PNT et le syndicat Alter à la campagne menée contre les pilotes et leur prétendu « égoïsme » qui ferait couler la compagnie ?
Pour Alter, membre de l’Union syndicale Solidaires, la notion d’« égoïsme corporatiste » est absente de son ADN. Nous n’avons de cesse de maintenir vivace les liens entre les pilotes et les autres catégories de personnel, en particulier par le biais de Sud Aérien qui possède des sections sol et PNC (hôtesses et stewards). Lors des grèves, nous essayons de répondre présents pour échanger avec nos collègues du sol sur leur lieu de travail.
Il est vrai que notre profession, et notamment le SNPL, le syndicat majoritaire, n’a jamais été très enclin à se lier socialement aux autres catégories de l’entreprise. Aussi, la campagne de dénigrement de la direction d’Air France envers les pilotes, tant en interne qu’en externe par médias interposés, a pu trouver, ces derniers mois, un certain écho auprès des autres salariéEs, notamment du sol, et culpabilisé une certaine frange de la population pilote.
Néanmoins, trois choses sont venues quelque peu rebattre les cartes de cet « antagonisme de classe ». Depuis l’arrivée d’Alexandre de Juniac à la tête d’Air France, la direction n’a eu de cesse de jouer sur cette corde sensible, un coup dans un sens, un coup dans l’autre : « les pilotes sont trop chers, ils vont couler la boîte… », mais aussi, à destination des pilotes : « les agents sol des escales France sont trop chers, ils vont aussi couler la boîte »... Et depuis la grève des pilotes de septembre 2014, cette même direction a porté cette politique de dénigrement des pilotes à son paroxysme.
Ensuite est venu l’avènement d’un nouveau bureau à la tête du SNPL AF en décembre dernier. Plus ouvert à l’échange, nous avons pu partager avec lui sur cet aspect des relations sociales et l’importance d’une autre vérité historique de la lutte des classes : « l’union fait la force ».
Enfin vient le fait que certaines confédérations syndicales, qui cultivaient l’épouvantail de l’égoïsme pilote ont, elles aussi, décidé de prendre le virage de l’efficacité pour la convergence des luttes sociales.
Si on ajoute l’outrance dans la tentative de la manipulation d’une direction décomplexée par le soutien d’un gouvernement dit « socialiste » et une politique patronale sans limite, tout cela a permis de faire naître en juillet dernier une intersyndicale réunissant toutes les organisations professionnelles d’Air France, hormis la CGC et la CFDT.
Le 5 octobre dernier, les pilotes présents ont donc pu défiler pacifiquement au côté de leurs autres collègues salariés d’Air France, et c’est la direction qui a fait les frais de cette communion « retrouvée ». Néanmoins, ne cachons pas aussi que certaines forces « réactionnaires » au sein même de notre profession sont à l’œuvre pour déstabiliser ce fragile édifice.
Que représentent comme attaques sociales contre les PNT les mesures envisagées dans le Plan A de la direction ?
Avec son plan A et 100 heures supplémentaires de vol par an, la direction veut un effort supplémentaire de 17 %, « des gains de productivité qui permettront, à terme, de retrouver le chemin de la croissance ». Les mots les plus importants sont bien entendu « à terme ». Parce que ces attaques sociales n’auront jamais de terme ! Il suffit de lire ce qu’écrit la direction sur le précédent plan Transform 2015 comportant déjà 20 % de gain de productivité subi depuis 2012 : « Transform a porté ses fruits grâce à la mobilisation de tous, mais nous devons poursuivre nos efforts pour faire face à un contexte de plus en plus concurrentiel… » Ainsi soit-il du Sysiphe-salarié.
Leur ambition est de nous faire accepter de faire table rase de nos accords et conventions collectives. C’est leur « New Deal » dont la devise est : « Ensemble, construisons le métier de pilote de demain » ! Cette destruction créatrice, chère à Schumpeter... mais aussi et surtout à nos financiers, a donc pour objectif de « repenser le métier pilote », si possible en contournant les organisations professionnelles, par des accords individuels avec les pilotes en terme de conditions de travail et de rémunération…
La direction envisage de « réfléchir » aux règles d’utilisation, au système de rémunération, incluant l’intéressement lié à la performance économique, à la « modularité » du temps de travail (passage à trois types de contrats : contrat « plus » permettant de gagner plus en volant plus, mais avec réduction du prix de l’heure de vol ; contrat « allégé » pour voler moins et gagner moins ; contrat « type » pour gagner autant en volant plus…), aux conditions de nos évolutions professionnelles (passage de co-pilote à commandant de bord, passage du moyen-courrier au long-courrier…), augmentation de l’échange électronique via iPad entre autres entre le cockpit et l’entreprise afin de supprimer des emplois sol en les sous-traitant. Ajoutons la suppression de deux jours de repos mensuels, de trois jours de congé annuel supplémentaires (nous en serions à six supprimés en trois ans...). Au sein même de ce Plan A était déjà prévu des licenciements secs dans les « secteurs où l’écart de coûts par rapport au marché est tel qu’il ne pourrait être comblé par la voie de la négociation et menace la pérennité de l’activité ». Et tout cela devait être négocié en seulement trois semaines ! En réalité, la suite de l’histoire était bel et bien déjà écrite.
Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu une forte cohésion de l’ensemble des syndicats PNT, PNC et PS (sauf CFDT et CGC). À quelles conditions penses-tu qu’elle pourra se maintenir ?
C’est une bonne question ! C’est même LA question dont la réponse conditionnera notre avenir social à tous, salariéEs d’AF, pilote, mais aussi hôtesse, steward et personnel sol. Transparence, confiance, échanges, entre les différents acteurs syndicaux, certes… mais surtout LA conscience ! Conscience que nous sommes tous liés à une même chaîne, celle du salariat, que nous avons tous le même ennemi, la direction et « ses donneurs d’ordre », que la convergence des luttes sociales tant sur le plan de l’entreprise que national, est notre seul espoir d’émancipation.
Propos recueillis par nos correspondants