Les protections accordées aux salariéEs par la réglementation du travail ne doivent pas masquer les contradictions d’un droit tout aussi indispensable à la conservation des intérêts du capital, auxquels il reste subordonné.
En 1950, le juriste Gérard Lyon-Caen donnait du droit du travail cette définition : « l’ensemble des règles qui régissent : 1° l’exploitation du travail humain en régime capitaliste ; 2° les instruments de la lutte ouvrière contre cette exploitation ; 3° les résultats de cette lutte, c’est-à-dire les modifications incessantes subies par le régime d’exploitation lui-même. » Le droit du travail organise donc à la fois les conditions d’extraction de la plus-value et les protections concédées aux salariéEs pour préserver la force de travail.
Mais il ne s’agit pas que d’une codification formelle : le droit du travail exprime les compromis issus de la lutte des classes. Lyon-Caen insiste sur les antagonismes de classe et l’existence des capitalistes et des travailleurs comme sujets agissant en permanence, les uns pour élargir l’exploitation, les autres pour limiter ses effets et gagner de nouveaux droits (y compris démocratiques).
C’est la raison pour laquelle les protections existantes doivent être défendues bec et ongles par les travailleurEs qui doivent refuser la limitation de leurs moyens d’action.
Un droit attaqué...
L’offensive menée par les gouvernements Hollande-Ayrault-Valls depuis 2012 constitue, à cet égard, un modèle du genre. Elle cherche aussi bien à affaiblir les protections – loi de « sécurisation de l’emploi » de juin 2013, loi Macron, coups de canifs incessants dans le principe de faveur permettant aux accords d’être moins favorables que la loi – qu’à modifier le cadre juridique de résistance des travailleurEs.
Le gouvernement s’est ainsi attaqué à l’inspection du travail (en la réorganisant et en y supprimant 10 % des postes) et aux conseils de prud’hommes, institutions que les travailleurEs sollicitent pour faire valoir leurs droits.
Il s’en prend également aux institutions chargées de défendre les salariéEs au quotidien : loi Rebsamen attaquant les droits à représentation du personnel, restriction des recours aux tribunaux et des délais de consultation des comités d’entreprise pour les licenciements économiques, expulsion de syndicats des bourses du travail…).
Il encourage enfin les patrons à enfreindre la loi (plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif) ou à pratiquer ouvertement la répression de ceux qui osent s’affronter (La Poste qui sanctionne les grévistes, Tefal qui assigne une inspectrice du travail en correctionnelle avec la complicité du parquet et du ministère du travail...).
... mais indispensable à la bourgeoisie
Pour autant, ce n’est pas un degré plus grand de protection qui modifierait le caractère de classe du droit du travail, car celui-ci conserve une portée pratique pour le capital.
Du fait de la division capitaliste du travail, les capitalistes, nombreux et concurrents, ne peuvent assurer directement la représentation des intérêts du capital. C’est l’État, à travers les règles de droit qu’il élabore, qui remplit ce rôle. Le droit du travail agit ainsi à la manière d’un « capitaliste collectif » dictant le comportement attendu de chaque patron, le réprimant si besoin, et organisant une certaine hiérarchie entre les capitaux (notamment via la sous-traitance par laquelle certains en soumettent d’autres, ou en différenciant les droits selon la taille de l’entreprise).
Le droit du travail définit donc à la fois les obligations des patrons, mais aussi leurs droits, et notamment celui de gérer leurs affaires sans que les travailleurEs ne viennent y fourrer leur nez : le pouvoir de direction (recruter, sanctionner, licencier, organiser le travail). Le code du travail fourmille d’exemples : un patron ne peut licencier sans cause réelle et sérieuse ni pour un motif discriminatoire… mais le contrôle se fait une fois le licenciement intervenu ; les libertés sont garanties aux salariéEs… sauf s’il existe une exigence professionnelle s’y opposant ; le patron doit demander l’avis du comité d’entreprise… mais cet avis n’est que consultatif ; la grève est un principe constitutionnel… mais la grève politique est interdite.
Plus encore, le droit du travail dissimule aux salariéEs la réalité de l’exploitation. Si la reconnaissance juridique du lien de subordination est un acquis fondamental, le contrat de travail repose sur la liberté juridique des parties et entretient l’illusion que chaque heure de travail est payée... et qu’il n’y a donc pas de travail gratuit.
Enfin, c’est par le droit du travail que l’État institutionnalise le « dialogue social » (à tous les niveaux, du CE aux conférences sociales) et intègre à son fonctionnement les syndicats, s’assurant ainsi au mieux de leur passivité, au pire de leur complicité dans le démantèlement des conquêtes.
Quelle stratégie ?
De tout cela, il faut tirer quelques conclusions pratiques. Le droit du travail est, au quotidien, mobilisé par les salariéEs qui en attendent une protection individuelle ou collective. Pour autant, sous le coup des évolutions défavorables des dernières décennies, ils font aussi l’expérience que ce droit, sans cesse contesté, donne de plus en plus de facilités aux patrons. La bataille pour la préservation des protections existantes est donc primordiale, mais elle doit se combiner avec une nouvelle stratégie de conquête qui n’en fera pas un horizon indépassable.