Le Réseau syndical international de solidarité et de lutte1, qui existe en tant que tel depuis mars 2013, rassemble des organisations et courants syndicaux qui travaillent à des perspectives anticapitalistes et internationalistes.
Il a été créé à partir d’une rencontre internationale organisée à Paris par Solidaires, la CGT de l’État espagnol et la CSP-Conlutas du Brésil. Sa constitution prend ses racines dans de nombreuses rencontres tenues par les uns et les autres depuis les années 90, de la participation à des actions communes. En ce qui concerne les syndicats français membres de Solidaires, SUD PTT, Sud Rail, Sud Santé et Sud Éducation, notamment, avaient développé des relations internationales, soit dans leur branche, soit en s’appuyant sur les contacts réalisés lors des mobilisations européennes contre le chômage des années 90 et des rencontres du mouvement altermondialiste dans les années 2000. C’est aussi le fruit du travail mené par la commission internationale de Solidaires qui, par exemple, avait organisé avec la CGT de l’État espagnol plusieurs réunions antérieures.
Issu d’une période de recomposition du syndicalisme
La CSP-Conlutas (pour Central Sindical e Popular - Coordenação Nacional de Lutas) a été créée à partir de 2005, avec la scission de syndicats ou de sections d’avec la CUT (Central Única dos Trabalhadores), principale confédération brésilienne. La CUT avait été créée en 1983, dans la foulée du PT (Partido dos Trabalhadores), à la fin de la dictature, comme syndicat de lutte, à la suite de quatre grèves générales nationales qui eurent lieu dans les années 1980 et des luttes des sidérurgistes et du secteur automobile dans l’État de Saõ Paulo, dans l’ABC, notamment à Saõ Bernardo. D’autres courants avaient participé à la fondation de la CUT, d’importants secteurs du syndicalisme et des oppositions syndicales qui existaient dans le monde agricole, en lien avec la création du MST (Movimento dos Trabalhadores Sem Terra) en 1985. Mais la majorité de la CUT s’est progressivement éloignée d’un syndicalisme de lutte de classes pour se rapprocher du projet néolibéral, notamment en accompagnant la politique de Lula à partir de 2002. La CSP Conlutas s’est donc constituée à partir des batailles menées dans la CUT à partir de 2003 par de très nombreux syndicats et sections contre le gouvernement Lula, en particulier la réforme des retraites et les lois syndicales. De nombreuses unions et fédérations formèrent alors une « coordination nationale des luttes » qui déboucha sur la création de Conlutas. Le choix avancé par le PSTU (Partido Socialista dos Trabalhadores Unificado, organisation trotskiste affiliée à la LIT) de créer une nouvelle organisation syndicale rassembla de nombreux militants de la CUT, mais il divisa la gauche brésilienne et notamment les courants présents dans le parti de la gauche radicale PSOL (Partido Socialismo e Liberdade), dont de nombreux militants restèrent dans la CUT. Par ailleurs, en 2006, à partir d’oppositions dans la CUT animées notamment par des militantEs du PSOL, apparut Intersindical, sur des bases similaires à celles de Conlutas. Une tentative de rapprochement fut organisée et même un congrès de fusion en 2010, sans succès. Néanmoins, des courants du PSOL sont aujourd’hui présents dans Conlutas et organisent une importante minorité au sein du syndicat. CSP-Conlutas s’est structurée non seulement avec des sections d’entreprises mais aussi avec des mouvements sociaux spécifiques (sans-terres, femmes, LGBT, NoirEs…). Conlutas déclare autour de deux millions de syndiquéEs, la CUT 7,4 millions.
La CGT de l’État espagnol est le produit de l’éclatement de la CNT. La CNT, syndicat se revendiquant de l’anarcho-syndiclisme, était le principal syndicat espagnol dans les années trente. Autorisée légalement en 1976, un an après la mort de Franco, le syndicat éclate en deux parts égales alors (50 000 adhérentEs chacune) avec la création de la CGT. Le syndicat regroupe aujourd’hui 60 000 adhérentEs, 15% des voix aux élections professionnelles, elle est la troisième force syndicale après les CCOO et l’UGT qui déclarent elles de 7 à 800 000 adhérentEs. La CGT se revendique du syndicalisme révolutionnaire, de l’autogestion et de l’autonomie ouvrière. Elle a joué à plusieurs reprises un rôle central dans les mobilisations des centres d’appel et des travailleurs sans-papiers.
Des prises de position radicales
Le Réseau a donc bénéficié des réseaux internationaux de ces trois syndicats, minoritaires chacun dans leur pays mais ayant une réelle implantation dans de nombreux secteurs et jouant un rôle actif. Le RSISL est tout sauf une structure verticale et le secrétariat en est assumé par les trois organisations fondatrices. Il y a eu à ce jour trois rencontres internationales : la fondation à Paris en 2013, une rencontre au Brésil et une autre à Madrid en 2018. La réunion prévue en 2020 à Dijon a été reportée pour cause de Covid.
Le Réseau est une structure souple qui accueille aussi bien des confédérations et des unions interprofessionnelles que des fédérations professionnelles, des unions locales ou de simples syndicats, mais aussi des tendances syndicales présentes souvent dans des pays avec un syndicat unique. Le Réseau syndical international de solidarité et de luttes est ouvert à toutes les organisations qui le souhaitent, quelle que soit leur affiliation ou leur non-affiliation internationale. La participation au Réseau se fait sur la base d’un appel issu de la rencontre de 2013 ayant servi de base à un manifeste plus complet adopté à la troisième rencontre de Madrid en mars 2018. Ce manifeste, à la différence des déclarations et bases de la CES et de la CSI, a un contenu clairement anticapitaliste, autogestionnaire, anticolonialiste, féministe, antiraciste, écologiste, anti-sexiste. À côté des organisations non affiliées à la CES, la FSM ou la CSI (comme Solidaires et d’autres syndicats « alternatifs » en Europe), plusieurs sont affiliées à ces organisations (à l’instar du RMT/TUC de Grande-Bretagne, affilié à la FSM, ou de la CNE-CSC, affilié à la CES et à la CSI).
Cet appel, ce manifeste, est signé aujourd’hui par une soixantaine d’organisations parmi lesquelles plusieurs syndicats « de base » italiens, la CUB et SI-Cobas, Batay Ouvriye (Haïti), UNT (Salvador), RMT (transports, Grande-Bretagne), CGSP-FGTB (rail, Belgique), CGATA (Algérie), Sinaltrainal-CUT (agro-alimentaire, Colombie), CUPW-STTP (Poste, Canada), CGT (Burkina Faso), FGPTT-UGTT (Poste, Tunisie), PPSWU (Poste, Palestine), KPRI (Indonésie)… En France, en dehors de Solidaires, la CNT-SO et la CNT-F, la tendance intersyndicale Émancipation et le CSR sont membres du Réseau. Il en est de même du syndicat historique, essentiellement américain, IWW, du Réseau TIE, formé en Allemagne à la fin des années soixante-dix, à l’initiative depuis de nombreux réseaux « à la base » entre militants syndicaux.
L’adhésion au RSISL n’est donc pas exclusive. On trouve ainsi les petits syndicats anarcho-syndicalistes européens de la Coordination rouge et noir, organisés autour de la CGT de l’État espagnol.
Le réseau s’est donc donné depuis presque 10 ans plusieurs buts.
Structurer des réseaux professionnels (rail, éducation, fonction publique, santé, commerce, centres d’appel, métallurgie/automobile, transport aérien…).
Approfondir les réflexions et les actions sur des thèmes communs : ainsi lors de la rencontre de 2018, la question des luttes contre l’exploitation et l’oppression des femmes fut longuement abordée, de même que les luttes contre les discriminations LGBT. À d’autres reprises aussi, fut traitée la question des nouvelles formes du précariat, les luttes décoloniales et bien sûr l’investissement dans les luttes contre le changement climatique.
Une des activités permanentes est l’organisation de la solidarité pour appuyer des luttes ou agir contre la répression, comme ce fut le cas dernièrement au Kurdistan, en Turquie, en Iran, à Hong-Kong, en Catalogne, au Soudan ou au Mexique, notamment. Le réseau organise aussi son investissement dans la campagne BDS dont il est signataire en tant que tel. Il y a aussi la question des migrations, de la lutte contre la fermeture des frontières aux migrants, la question du colonialisme sont au cœur des réflexions.
Il faut noter dans le réseau la présence active de plusieurs syndicats d’Afrique, d’Asie et d’Haïti.
Au total, malgré une très importante différence d’échelle avec la CSI et ses moyens et malgré des différences de réalité et d’implantation très importantes entre les syndicats du réseau, celui-ci affirme la vivacité d’une orientation pour un syndicalisme unitaire de lutte de classes s’ouvrant notamment aux couches les plus précaires du salariat et au développement du salariat ou des secteurs informels en Afrique, en Asie et en Amérique latine, un syndicalisme agissant clairement sur des bases anticapitalistes, ouvert à toutes les luttes sociales. Il représente aussi la réalité d’un héritage militant internationaliste préservé des années 90 et 2000, enrichi depuis, ce qu’ont été moins capables de faire d’autres composantes du mouvement social et politique.