Après des prises de position très virulentes contre l’avant-projet de loi El Khomri dans sa version initiale, Martine Aubry se montre plus discrète depuis les premiers reculs concédés par le gouvernement, inquiet à la suite de la première journée de mobilisation du 9 mars...
De petites concessions dont l’objectif est avant tout de rallier les syndicats abusivement qualifiés de réformistes pour casser la dynamique de la mobilisation.
Mais, plus fondamentalement, cette discrétion est liée au fait que non seulement la philosophie, les fondements politiques, mais surtout les aspects juridiques de nombre de régressions sociales contenues dans le projet de loi El Khomri sont inscrites tant dans les lois Auroux (rédigées par Aubry), que dans les lois Aubry 1 et 2 dites de réduction du temps de travail.
Auroux en précurseur
En effet, politiquement, les lois Auroux s’inscrivent dans la première phase des gouvernements Mitterrand encore célébrée comme celle des réformes allant « dans le bon sens »...
La philosophie consiste déjà à magnifier l’entreprise, à la réhabiliter dans l’esprit des françaisEs et annonce le véritable culte dont elle fera ensuite l’objet avec la mise en scène du brigand Bernard Tapie comme modèle d’entrepreneur et d’Yves Montand, la « personnalité de gauche » prônant l’individualisme et le libéralisme les plus exacerbés dans ses émissions télé Vive la crise .
Pour Auroux, l’’entreprise doit devenir citoyenne : «Il importe que les uns prennent davantage conscience de sa dimension sociale et les autres de sa dimension économique ». Une idée reprise dans le préambule Badinter qui continue à servir de philosophie de la casse du code du travail : « Les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées (…), les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Tous « citoyenEs », exit le rapport de subordination, le contrat de travail, les classes sociales.
La seconde anticipation concerne l’institution des accords dérogatoires qui enfonce un (premier) coin dans l’ordre public social. Cela consiste dans la possibilité de déroger aux dispositions législatives et conventionnelles, incluant déjà des formes de modulation du temps de travail, s’il n’ y a pas d’opposition des syndicats représentants 50 % des voix aux élections professionnelles.
Et, enfin, la tentative, vite tombée en désuétude, de tenter – déjà – de contourner les institutions représentatives du personnel et les syndicats avec les groupes « Auroux », regroupant maîtrise et salariéEs et appelés à discuter de tout... sauf de salaires !
La réduction du temps de travail comme prétexte
Mais ce sont les loi Aubry 1 et 2 sur la réduction du temps de travail qui vont réellement engager les mesures les plus radicales contre les droits des salariéEs.
Tout d’abord l’annualisation du temps de travail qui en pratique met en pièces la réduction du temps de travail à 35 heures. Le décompte des heures supplémentaires et de leur paiement se fait sur l’année, avec des modulations, des dérogations et un temps de travail hebdomadaire maximum de 48 heures. Le projet de loi « ne fait que » permettre la modulation sur trois ans (seulement par accord de branche dans la deuxième version du projet de loi). La sortie des temps de pause, d’habillage du temps de travail effectif réduisant le plus souvent la réduction du temps de travail à une peau de chagrin...
De même, le flou sur le statut des astreintes maintient la possibilité de sous-paiement et d’allongement des temps de travail et la réduction du temps de repos, toutes mesures anticipant les possibilités de dérogation multipliées dans le projet de loi El Khomri. Hausse du contingent d’heures supplémentaires, allongement des temps maximums de temps de travail : autant de mesures qui anticipaient celles de la nouvelle loi. Avec souvent des mesures prises entre-temps par la droite (l’autre...) allant dans le même sens...
C’est ensuite la mise en place du forfait-jours qui permet que le temps de travail ne soit plus défini en heures mais en jours, sans apporter de protections sérieuses contre les durées ou charges de travail excessives. Le forfait-jours concerne déjà 50 % des cadres et 13,5 % des salariéEs et les conduits à travailler 46h30 en moyenne au mépris de leur santé et de leur vie personnelle. Et de la même façon, la loi travail ne fait qu’ouvrir davantage cette possibilité : les entreprises de moins de 50 salariéEs pourront le mettre en place par simple accord d’un salariéE mandaté.
Mais c’est surtout la possibilité d’organiser des référendums pour mettre en place la RTT qui augmente considérablement les possibilités de déroger au code du travail, aux conventions collectives. Cette possibilité ouverte en 2000 en cas d’opposition des organisations syndicales majoritaires permettait de plus aux entreprises de bénéficier d’une réduction de cotisations sociales « patronales » liée à un engagement d’embauches proportionnel à la taille de l’entreprise, mais vite annulé par des réorganisations.
Au total, sous prétexte de réduction du temps de travail, bien souvent marginale, les lois Aubry étaient bien marquées par la volonté de mettre en cause la hiérarchie des normes tout en offrant tous les moyens d’une intensification du temps de travail. Des objectifs repris et aggravés dans le projet de loi travail.
Robert Pelletier
Pour aller plus loin :
Lois Auroux : Deux Sècles de Droit du Travail. Éditions de l'Atelier (Incontournable)
Lois Aubry : http://travail-emploi.go…