Les patrons et les gouvernement successifs ont patiemment détricoté les acquis du droit du travail, en essayant que cela se voit le moins possible, par une multiplicité de modifications successives.
Avec une logique globale, dans laquelle chaque modification, jugée mineure et ne remettant soi-disant pas en cause les points essentiels, joue un rôle particulier. Comme l’écrivait le juriste Emmanuel Dockès en 2004 : « Ce qui de loin semble chaotique prend tout son sens observé de plus près. il ne s’agit pas de tremblements convulsifs, mais de raison. C’est bien au développement d’un nouvel art législatif auquel l’observateur du droit du travail assiste, à l’apparition d’une méthode… que l’on peut qualifier de “stroboscopique”. » Les pouvoirs publics agissent en masquant le contenu réel des mesures prises, les grandes attaques contres les droits des salariés étant sectionnées en de multiples petits reculs, chacun étant présenté comme indolore et sans grande importance...
Le droit de l’entreprise...
Depuis 30 ans, la constance des réformes est, au nom de l’emploi, de s’attaquer aux maigres sécurités existantes. Le droit du travail devient petit à petit le droit de l’emploi, de l’entreprise. La boucle est bouclée dans l’annonce du projet gouvernemental. Le code du travail n’est plus un code protégeant les salariés soumis au pouvoir patronal, mais aurait une double fonction : à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer !
L’évolution atteint un seuil : la remise en cause de ce qui constitue le sens même du code du travail. L’offensive vient de loin : en 2004 était rendu au ministre du Travail le « rapport De Virville » qui avançait déjà cette conception du droit du travail comme droit permettant le développement de l’entreprise, de l’emploi. D’un droit défendant les salariéEs, on veut passer à un droit qui permet aux employeurs, parce qu’ils possèdent le pouvoir dans la société et l’entreprise, de faire ce qu’ils veulent, à partir d’une idée simple : ce qui est bon pour le capitaliste est bon pour l’exploité !
Le « principe de faveur » détricoté
Le levier essentiel pour attaquer le droit du travail est la remise en cause du « principe de faveur ». C’est le principe qui règle la place du contrat de travail, de la négociation par rapport à la loi : l’accord de branche ne peut déroger à la loi que dans un sens plus favorable au salariéE, l’accord d’entreprise ne peut qu’être plus favorable à l’accord de branche, tous ne pouvant qu’améliorer le contrat de travail en faveur des salariéEs.
Depuis 1982, ce principe a patiemment été détricoté pour la durée du travail. En 1982, le tabou saute à l’occasion de la loi des 39 heures. L’ordonnance crée la possibilité que le contingent annuel d’heures supplémentaires soit d’un volume supérieur à celui fixé par le décret, par un accord étendu1. Cette exception très limitée s’est étendue : se sont multipliés les accords dérogatoires, de plus en plus faciles à conclure, sur des questions de plus en plus nombreuses.
La négociation comme arme patronale
Les lois Aubry élargissent les accords « dérogatoires », puis la loi Fillon de mai 2004 inverse la logique : l’accord d’entreprise devient autonome. Ce n’est plus la dérogation qui est exceptionnelle, la loi prévoit que tout se négocie sauf ce que la loi a prévu qu’on ne pouvait négocier... En août 2008, la loi inverse les normes au profit de l’accord d’entreprise concernant le contingent d’heures supplémentaires, la répartition et l’aménagement des horaires.
L’avantage pour les patrons et les gouvernants de cette démarche longue et complexe ? Au bout du compte, il est simple : lorsque l’on prévoit que les attaques contre les droits des salariéEs peuvent être décidées par la négociation, ce ne sont plus les patrons et le gouvernement qui sont responsables de la dégradation des conditions de vie et de travail, ce sont les « négociateurs », incluant les organisations syndicales... censées représenter les salariéEs.
Patrick Le Moal
- 1. L’extension rend applicable par arrêté ministériel l’accord à tous les salariéEs des entreprises qui ne sont pas adhérentEs à l’une des organisations signataires.