Blogs, webzines, réseaux sociaux… Malgré l’atonie du mouvement féministe traditionnel et la difficulté à reconstruire des organisations à la base, la dynamique féministe d’une nouvelle génération est indéniable. Les nouveaux outils se révèlent particulièrement adaptés. Pourquoi ?
Des thématiques traditionnelles
Le premier élément à constater est sans doute le retour en force de thématiques traditionnelles : lutte contre les violences, contre les discriminations, droit à disposer de son corps… à contre-pied des thématiques qui ont déchiré le mouvement autonome des femmes ces dix dernières années, les mobilisations web se recentrent sur des sujets consensuels et incontournables, ce qui explique sans doute aussi leur force et leur attractivité. Des conditions nécessaires pour une mobilisation de masse.
Des médias très adaptés
Si les mobilisations féministes « prennent » si bien sur le web, c’est qu’elles permettent de répondre à des difficultés bien connues qui limitent l’investissement des femmes, dans le féminisme mais aussi ailleurs : le temps, l’espace, et l’isolement.
Le temps : les journées des femmes sont plus chargées mais aussi plus fragmentées que celles des hommes. Pour peu qu’elles soient chargées de famille, il peut être difficile de trouver un moment. Alors, le métro, les pauses café, les horaires de bureau, la nuit après le coucher… deviennent les interstices où les femmes peuvent s’investir, même brièvement, dans un sujet qui leur tient à cœur.
L’espace : on le sait, l’espace public est hostile aux femmes. Pour beaucoup descendre dans la rue pour des manifs n’a rien d’une évidence. Mais l’espace, c’est aussi au sens plus large, les contraintes géographiques : le web permet de relier des femmes du monde entier, permettant des ponts entre mobilisations sur les mêmes thèmes d’un état à l’autre, du pays entier, de donner des tâches possibles à celles qui ne sont pas dans des grandes villes, qui n’ont pas d’organisations féministes dans leur entourage.
Ce qui nous amène à notre dernier point : l’isolement. Les femmes qui se retrouvent sur le web expriment très fortement un besoin de solidarité, de partage, d’identification de leurs vécus individuels à un vécu collectif. Le web joue alors un rôle proche de celui des « groupes de conscience » des années 1970. Certains groupes Facebook de partage et d’entraide face au sexisme comptent ainsi plusieurs milliers de membres. Ces groupes deviennent alors des espaces de formation accélérée de toute une nouvelle génération féministe.
Quels débouchés ?
La grande question reste la finalité de ces mobilisations. On peut en avancer de trois types.
La formation et le renforcement collectif : ces espaces et ces temps de mobilisation, quels que soient leurs degrés de concrétisation et d’effets sur le réel, ont un intérêt indiscutable, celui de permettre aux femmes de prendre conscience individuellement et collectivement de la réalité de leur oppression commune, et de sa persistance malgré les avancées légales des féminismes de première et deuxième vague. Ce phénomène se retrouve dans de nombreux autres pays occidentaux d’ailleurs : l’indignation des nouvelles générations étant à la hauteur du mythe de l’égalité formelle qui nous a été vendu. C’est sans doute pourquoi les mobilisations se centrent pour beaucoup sur les violences endémiques qu’aucune loi n’a permis d’endiguer.
Des victoires réelles : de la campagne contre le harcèlement sexuel dans les transports en passant par l’abrogation de la « taxe tampon », jusqu’à la libération prochaine de Jacqueline Sauvage, les mobilisations web, soutenues par quelques actions de rue, débouchent sur des victoires. C’est enthousiasmant en soi, et cela contribue aussi à nourrir le phénomène. A contrario du reflux du mouvement social, ce « milieu » qui se constitue de façon réticulaire est en ébullition constante.
La reconstruction d’un mouvement organisé : si on en est encore loin, un des objectifs doit être de pouvoir reconstruire un mouvement autonome des femmes de masse et organisé. On assiste à de nombreuses initiatives de jeunes militantes (créations d’associations, de collectifs, de journaux…) qui vont dans ce sens, mais celles-ci restent pour l’instant assez minoritaires. Même si certaines organisations, aux motivations diverses, se font le relais et le porte-voix des mobilisations nées sur le web, elles ne parviennent pas pour l’heure à organiser massivement cette colère. C’est pourtant certainement un des plus grands enjeux militants de la période.
Chloé Moindreau