Publié le Jeudi 27 mai 2021 à 12h48.

Actualité de la Commune de Paris au 21e siècle

Chaque génération a sa propre lecture, sa propre interprétation de la Commune de 1871, en fonction de son expérience historique, des besoins de son combat présent, des aspirations et utopies qui la motivent.

Qu’est-ce qui fait son actualité aujourd’hui, du point de vue de la gauche radicale et des mouvements sociaux et politiques du début du 21e siècle, depuis les Zapatistes du Chiapas jusqu’au Rojava libertaire, en passant par le mouvement altermondialiste ?

Auto-émancipation, pluralisme, unité

Certes, la grande majorité des militants et activistes d’aujourd’hui connaît peu de choses sur la Commune. Il n’existe pas moins, entre l’expérience du printemps parisien de 1871 et celle des luttes d’aujourd’hui certaines affinités, certaines résonances qui méritent d’être mises en avant :

• La Commune était un mouvement d’auto-émancipation, d’auto-organisation, d’initiative par en bas. Aucun parti n’a tenté de se substituer aux classes populaires, aucune avant-garde n’a voulu « prendre le pouvoir » à la place des travailleurs. Les militants de la section française de la Première Internationale étaient parmi les partisans les plus actifs de l’insurrection populaire, mais ils n’ont jamais voulu s’ériger en « direction » auto-proclamée du mouvement, ils n’ont jamais tenté de monopoliser le pouvoir, ou de marginaliser d’autres courants politiques. Les représentants de la Commune ont été démocratiquement élus dans les arrondissements, et soumis au contrôle permanent de leur base populaire.

• En d’autres termes : la Commune de 1871 a été un mouvement pluraliste et unitaire, dans lequel participaient des partisans de Proudhon ou (plus rares) de Marx, des libertaires et des jacobins, des blanquistes et des « républicains sociaux ». Certes, il y avait des débats et des divergences, parfois même des affrontements politiques dans les instances démocratiquement élues de la Commune. Mais dans la pratique on agissait en commun, on se respectait mutuellement, on concentrait le feu sur l’ennemi et non sur le frère de combat avec lequel on avait des désaccords. Les dogmes idéologiques des uns et des autres pesaient moins que les objectifs communs : l’émancipation sociale, l’abolition des privilèges de classe. Comme le reconnait Marx lui-même, les jacobins ont oublié leur centralisme auto­ritaire et les proudhoniens leurs principes « anti-politiques ».

Internationalisme, féminisme, anticapitalisme

• Ce fut un mouvement authentiquement internationaliste, avec la participation de combattants de plusieurs pays. La Commune élit à la direction de sa milice un révolutionnaire polonais (Dombrowicz) ; elle fait d’un ouvrier hongrois-allemand (Leo Frankel) son commissaire du travail. Certes, la résistance à l’occupation prussienne a joué un rôle décisif dans le déclenchement de la Commune, mais l’appel des insurgés français au peuple et à la social-démocratie allemande, inspiré de l’utopie des « États-Unis d’Europe », témoigne de cette sensibilité internationaliste.

• Malgré le poids du patriarcat dans la culture populaire, la Commune se distingue par une participation active et combattante des femmes. La militante libertaire Louise Michel et la révolutionnaire russe Elisabeth Dmitrieff sont parmi les plus connues, mais des milliers d’autres femmes – désignées avec rage et haine comme « pétroleuses » par la réaction versaillaise – ont pris part aux combats d’avril-mai 1871.

Le 13 avril les déléguées des citoyennes ont envoyé à la Commission exécutive de la Commune une adresse qui fait état de la volonté de nombreuses femmes de participer à la défense de Paris, considérant que « la Commune, représentante du grand principe proclamant l’anéantissement de tout privilège, de toute inégalité, par là même est engagée à tenir compte des justes réclamations de la population entière, sans distinction de sexe – distinction créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel repose les privilèges des classes dominantes ».

L’appel est signé par les déléguées, membres du Comité central des citoyennes : Adélaïde Valentin, Noëmie Colleville, Marcand, Sophie Graix, Joséphine Pratt, Céline Delvainquier, Aimée Delvainquier, Elisabeth Dmitrieff.

• Sans avoir un programme socialiste précis, les mesures sociales de la Commune – par exemple, la remise aux ouvriers des usines abandonnées par leurs patrons – avaient une dynamique anticapitaliste radicale.

Beaucoup d’aspects de cette première tentative d’émancipation sociale des opprimés restent d’une étonnante actualité et méritent de nourrir la réflexion des nouvelles générations.

Sans mémoire du passé et de ses luttes il n’y aura pas de combat pour l’utopie de l’avenir.

Version intégrale sur Contretemps.eu