À la veille du second anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février, l’apport spécifique de la gauche ukrainienne et de ses soutiens internationalistes ne peut être ni « militariste » — aveugle à l’urgence de protéger et d’étendre les droits sociaux pour consolider la résistance — ni pacifiste abstrait, c’est-à-dire aveugle à la caractéristique première de cette guerre : une agression impériale « grand’russe ».
Avant son « opération militaire spéciale » Poutine a de multiples façons nié la réalité nationale de l’Ukraine (selon lui «inventée» par Lénine), comme d’ailleurs la réalité nationale d’autres composantes de l’URSS. La critique du droit d’autodétermination, était au centre de son « essai » de juillet 2021 : « Le droit des républiques à se séparer librement de l’Union a été inclus dans le texte de la déclaration sur la création de l’Union des républiques socialistes soviétiques et, par la suite, dans la constitution de l’URSS de 1924. Ce faisant, les auteurs ont placé dans les fondations de notre État la plus dangereuse des bombes à retardement, qui a explosé dès que le mécanisme de sécurité fourni par le rôle dirigeant du PCUS a disparu, le parti lui-même s’effondrant de l’intérieur »1.
Mobilisation populaire ukrainienne massive
La vérification et la consolidation d’une réalité de peuple ne se décrètent pas. Elles se construisent historiquement et se constatent dans la résistance à une agression. Le recul des troupes russes après leur montée vers Kiev fut, en février 2022, acquis par une mobilisation populaire ukrainienne massive, derrière un président prenant la tête de la résistance armée, alors que tous les gouvernements occidentaux et Poutine lui-même escomptaient sa fuite ou capitulation rapide. Comme le dit la féministe Victoriia Pihul évoquant la remontée des luttes politiques et sociales sur de multiples fronts en Ukraine et les difficultés actuelles de la mobilisation : « Pour que la guerre devienne populaire, il est nécessaire d’établir l’égalité sociale — en commençant par la confiscation des richesses qui dépassent la norme nécessaire à une vie décente, une fiscalité progressive pour mieux soutenir financièrement les familles des travailleurs tués au front, et un moratoire complet sur les réformes qui augmentent la pauvreté »2.
« De l’Ukraine à la Palestine, l’occupation est un crime » : tel est le titre de la déclaration adoptée par nos camarades de Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) le 31 janvier 2024. Nous partageons cette cohérence. Nous partageons aussi avec ces camarades une lutte sur plusieurs fronts.
L’enjeu des droits pour une Ukraine libre et démocratique
Cet internationalisme par en bas, indépendant de tout gouvernement, a pu se construire et s’étendre au travers du RESU/ENSU (« Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine)3 auquel participe le NPA. Il permet des liens directs (convois syndicaux, débats, campagnes) avec les organisations de la société civile ukrainienne (politiques, syndicales, féministes, LGBTI-Q…), contre l’agression russe et contre tous les diktats que voudrait lui imposer le FMI ou l’UE, et aussi en solidarité avec les courants antiguerre russes et biélorusses.
Alors que la popularité de Volodymyr Zelensky a flambé dans les premiers mois de la guerre (et demeure élevée), elle a décru avec les attaques sociales, la corruption, l’absence de transparence des choix, y compris ces derniers temps lors des changements au sommet de l’état-major de l’armée. Mais, souligne Laurent Vogel, membre du collectif belge de l’ENSU, il importe de mesurer « à quel point la résistance est globale : sur le front contre l’occupant, à l’arrière pour une société plus égale et démocratique. Dans un certain nombre de petites entreprises, des formes d’autogestion sont apparues […]. Pour toutes les activités essentielles comme la santé, l’éducation, les transports, la créativité des collectifs de travail a dû improviser des solutions d’urgence qui ont démontré une plus grande efficacité que ce qui était proposé par le management ».
- 1. « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens », cité par David Finkel dans Lundi matin, du 19 juin 2023 « De l’Ukraine à la Palestine : Le poison du déni », https://lundi.am/De-l-Uk…
- 2. Interview de Viktoriia Pihul, féministe ukrainienne et membre du conseil de l’organisation socialiste ukrainienne Sotsialnyi Rukh (Mouvement social) par Federico Fuentes pour LINKS International Journal of Socialist Renewal. https://links.org.au/vik…
- 3. Voir son site en plusieurs langues ENSU (European Network in Solidarity with Ukraine), avec sa plateforme, ses activités, analyses et partenaires ; et voir Agenda NPA les activités de la branche française du RESU pour l’anniversaire du 24 février. https://ukraine-solidari…