Lors de la promulgation de la première loi sur les étrangers en 1985, juste avant son entrée dans la Communauté économique européenne, l’État espagnol ne comptait même pas 250 000 étrangerEs. En 2000, ils/elles étaient moins d’un million, et une décennie plus tard déjà presque six millions.
Cette affluence de main-d’œuvre bon marché répondait aux besoins de trois secteurs économiques clés – le bâtiment (lié à la spéculation), l’agriculture et le tourisme – et contribuait à compenser, particulièrement pour ce qui est des soins à prodiguer aux personnes âgées, les coupes opérées dans les services publics.
Malgré le sensationnalisme médiatique portant spécialement sur l’arrivée de migrantEs sur les côtes ou leurs tentatives d’escalader les clôtures des enclaves de Ceuta et Melilla, l’immigration n’est que très rarement devenue un sujet politique de premier plan et n’a jamais suscité de graves épisodes de racisme social. Ainsi, à la différence de ce qui se passe en France, il n’y a pas de parti d’extrême droite espagnol se construisant sur la base d’un discours anti-immigration et islamophobe.
Le racisme institutionnel est le grand problème. Il existe des campagnes contre divers aspects de cet « apartheid juridique » mais, dans une période de faiblesse de presque tous les mouvements sociaux, elles sont en général assez modestes.
Ces mouvements ont trouvé un certain appui politique avec l’irruption de Podemos et les candidatures municipales « du changement ». Ainsi, la mairie de Barcelone a tenté de fermer le Centre de rétention des étrangers (CIE) situé dans la ville, arguant du fait qu’il ne respecte pas la réglementation municipale (régissant les licences d’activités). Au Congrès des députéEs, Podemos a mis en demeure le gouvernement central de tenir son engagement d’accueillir 16 000 réfugiéEs, dont seulement un millier est arrivé dans le pays, traditionnellement l’un des plus rétifs à accorder l’asile.
Mais Podemos n’est pas une organisation militante, les syndicats restent en retrait, et c’est la société civile, migrantEs compris, qui a impulsé le défense des droits de ces dernierEs. Sont ainsi apparues des campagnes pour la fermeture des centres de rétention, contre les déportations massives et le harcèlement policier, pour l’obtention de la nationalité sans imposer des examens impossibles à réussir, pour l’obtention également des permis de résidence sans nécessité de produire un contrat de travail d’un an, alors que le chômage et la précarité rendent impossible la chose.
En manif, par centaines de milliers...
Le panorama a été modifié par l’énorme vague d’empathie et de solidarité qui est apparue dans de larges couches de la population envers les personnes qui, fuyant la guerre, cherchent à entrer en Europe. Nombreux sont celles et ceux qui sont allés donner un coup de main en Grèce, ce qui a contribué à créer ou renforcer, dans l’État espagnol même, une multitude de groupes et de plateformes de soutien aux réfugiéEs.
En Catalogne, avec la collaboration (intéressée) des médias, ces processus ont culminé en février dans une mobilisation extraordinaire ayant pour mot d’ordre « Volem Acollir » (« Nous voulons accueillir »). Tout a commencé par un concert qui a affiché complet, en présence de 20 000 personnes, réunissant de très nombreux artistes parmi les plus célèbres. Le week-end suivant, Barcelone a connu la plus grande manifestation de ces dernières années : la police a compté 160 000 personnes, les organisateurs 500 000.
Cette campagne, bien qu’organisée d’en haut, a eu le mérite de critiquer l’inaction du gouvernement catalan et, au moins formellement, de refuser la distinction entre réfugiéEs et « migrantEs économiques », en revendiquant que les arrivées se fassent par des voies sûres et que les droits soient reconnus dès ces arrivées. Il s’agit maintenant d’augmenter la pression sur le gouvernement pour arracher des mesures concrètes et empêcher qu’une éventuelle négociation ne débouche sur de simples effets cosmétiques.
De Barcelone, Brian Anglo
Traduction par Antoine Rabadan