Publié le Mercredi 24 février 2021 à 10h08.

Les Palestinien·E·s en colère contre la normalisation et contre leurs dirigeants

Le sujet de la normalisation a envahi l’actualité et les discours politiques palestiniens depuis des mois maintenant, tandis que les nations arabes font la queue pour signer des accords de normalisation, déguisés en « accords de paix », avec l’État d’Israël.

Le consensus parmi les organisations de la société civile palestinienne et le grand public est que lorsque des États, organisations, entreprises et institutions arabes traitent Israël comme un État « normal » avec lequel les affaires peuvent être menées comme si de rien n’était, cela blanchit l’occupation israélienne et ouvre la voie à de nouveaux crimes commis par Israël dans les territoires palestiniens occupés.

Le « vrai visage » des régimes arabes

Les PalestinienEs ont réagi à la récente vague d’accords de normalisation avec frustration et indignation, des manifestations contre la normalisation ayant éclaté en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza. Mais si la normalisation a été décrite par les PalestinienEs comme un « coup de poignard dans le dos » et une « trahison ultime », une grande partie de l’opinion publique palestinienne a exprimé le fait que, bien que fortement contrariée, elle n’était nullement surprise par ces accords.

« Quand ils ont annoncé la normalisation, c’était presque un soulagement, d’une certaine manière, parce que nous savions qu’ils le faisaient depuis longtemps sous la table, et cela ne faisait que confirmer tout cela », selon Ayman Gharib, militant palestinien des droits humains en Cisjordanie. « Ces accords de normalisation ne font que nous montrer le vrai visage des régimes arabes, et mettent fin à la façade qu’ils ont entretenue pendant si longtemps », poursuit-il.

« Que les États arabes choisissent de normaliser ou non, et que ce soit officiellement ou officieusement, nous, les Palestiniens, sommes toujours ici sur cette terre, à défendre notre patrie et à rester fermes dans notre lutte » : Gharib exprime un sentiment partagé par de nombreux Palestiniens, à savoir que même si les gouvernements arabes peuvent choisir la normalisation avec Israël plutôt que de soutenir la libération des PalestinienEs, il existe un sentiment de solidarité entre les peuples arabes de toute la région lorsqu’il s’agit de la Palestine. « Même si leurs gouvernements nous ont trahis, nous attendons des peuples arabes qu’ils se tiennent à nos côtés, et beaucoup d’entre eux l’ont fait », explique-t-il, évoquant les manifestations anti-normalisation qui se sont déclenchées au Soudan et au Bahreïn suite aux accords de leur pays avec Israël.

« Pourquoi vouloir célébrer cela de cette façon ? »

« La normalisation avec les autres pays arabes se fait entre les gouvernements, mais pas entre les peuples », explique Mahmoud Nawajaa, coordinateur général du Comité national palestinien du BDS. « Mais ces dictatures et régimes arabes finiront par tomber, et nous espérons qu’avec des élections libres dans le futur, les peuples arabes feront entendre leur voix ». Et de poursuivre : « Ce genre de gouvernements, de systèmes, concluent ces accords parce qu’ils ne sont pas démocratiques. Si ces États arabes avaient des dirigeants démocratiquement élus, ce type d’accords n’existerait pas, car leur peuple ne les laisserait jamais accepter cela ».

Dans le sillage des récents accords de normalisation, et face aux critiques viscérales exprimées par les manifestantEs palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, certains ont souligné l’existence préalable de relations diplomatiques normalisées entre Israël et des pays comme l’Égypte et la Jordanie, qui partagent tous deux des frontières avec Israël. Mais, alors que l’Égypte et la Jordanie entretiennent des relations diplomatiques avec Israël depuis des années, les PalestinienEs expliquent que cette fois-ci les choses sont sensiblement différentes.

« Cette fois, c’est différent. Quand vous regardez les relations normalisées entre l’Égypte et la Jordanie, elles ne sont pas chaleureuses, ce ne sont que des accords », explique Diana Buttu, avocate et analyste politique palestinienne, en référence aux célébrations tapageuses des accords entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU) ou le Bahreïn. « Avec les Émirats arabes unis, les choses sont tellement exagérées », ajoute-t-elle, soulignant que le cérémonial qui a entouré les accords n’a fait que blesser davantage le peuple palestinien.

Elle explique : « Chez de nombreux Palestiniens, on se dit "OK, on comprend que vous avez conclu ces accords pour des raisons économiques et politiques. Mais pourquoi vouloir célébrer cela de cette façon ?" ».

Des décennies d’échec des dirigeants palestiniens

Peut-être tout aussi frustrant que les accords eux-mêmes, souligne Diana Buttu : la stratégie, ou plutôt l’absence de stratégie, de la part du « leadership » palestinien face à la normalisation. « C’est simple : il n’y a pas eu de stratégie du tout. La seule réponse du gouvernement à ces accords de normalisation a été d’agiter les mains et de dire "hé, nous sommes toujours là !" et rien de plus ».

Selon Diana Buttu, la réponse peu enthousiaste de l’Autorité palestinienne (AP) à l’accord des EAU avec Israël peut être attribuée au fait que les responsables de l’AP ne voulaient pas adopter un ton trop dur, qui aurait pu mettre en danger le statut des plus de 300 000 PalestinienEs qui résident dans l’État du Golfe.

« Mais lorsque le Bahreïn a emboîté le pas aux EAU, il y a eu une nouvelle réponse de type "Rien du tout", et les choses se sont passées de la même façon avec le Soudan. Le plus gros problème de cette stratégie est qu’elle montre à quel point leur approche a été pathétique pendant toutes ces années », explique-t-elle à propos de l’AP.

L’état actuel de l’AP – un organisme financièrement épuisé qui n’a pas son mot à dire dans les politiques mondiales et régionales qui touchent son peuple – est le point culminant de toutes ces années de stratégie perdante depuis Oslo, et du contournement complet de l’AP en tant qu’organe de décision, au cours des quatre dernières années, par l’administration Trump.

« L’AP n’a rien fait pour changer de cap depuis les accords d’Oslo », affirme Diana Buttu. « Et en conséquence, nous sommes restés coincés dans le même scénario pendant 27 ans. L’AP tient toujours le même discours, alors que le monde a clairement évolué. L’absence totale de réponse et d’action organisée face à la normalisation peut être imputée à la défaillance des dirigeants palestiniens. Ils n’ont jamais mis en place une stratégie alternative, et nous en payons le prix depuis des années. »

Traduction J.S.

Version originale sur mondoweiss.net