Villepin a réussi le tour de force d’unifier une jeunesse très hétérogène. Ses seuls éléments communs étaient le ras-le-bol face à l’ampleur des attaques du gouvernement et l’absence d’avenir. Mais, au-delà, la dispersion était complète. La situation a, hélas, encore empiré, et dans les années 2000 se sont développées dans les universités les corporations et les associations de filières. L’activité syndicale a décru petit à petit : un étudiant sur mille est syndiqué, et la participation aux élections universitaires est inférieure à 10 %. C’est de cette absence de traditions et du développement des associations corporatistes que sont nées les oppositions aux blocages et à la grève. Heureusement, même si des courants d’extrême droite ont tenté d’organiser ce rejet, il resté très faible. Il a suffi de tactiques assez simples, comme le fait de permettre aux filières « les plus à droite » d’aller en cours, pour désamorcer ces résistances... Le cœur de la difficulté s’est trouvé dans le lien entre étudiants et classes populaires. Souvent, ce lien se réalise par la mobilisation des lycées de banlieue. Mais, cette fois, il a été difficile à construire. On a donc assisté, comme pendant le mouvement lycéen de 2005 et avec un rôle accru de la police pour exacerber voire créer des tensions, à des affrontements au sein de la jeunesse. Certains courants ont considéré que les jeunes non organisés, qui participaient aux manifestations sans cortège mais avec des vols et des violences, étaient des ennemis du mouvement. Heureusement, malgré quelques épisodes difficiles, il a été possible, en construisant des cortèges auto-organisés, avec service d’ordre, directions de cortèges, sono, etc., de maintenir un cap qui indiquait à ces jeunes qu’ils avaient toute leur place dans le mouvement, mais que cela ne pouvait se faire qu’en construisant un cadre organisé et inclusif.
Les étudiants mobilisés sur la question du travail : une anomalie ?
Il est significatif que ce grand mouvement de la jeunesse se soit construit sur une question en rapport au travail...
Jusqu’ici, de nombreuses mobilisations de la jeunesse ont eu pour objet les conditions et l’accès aux études, en particulier en 1986 et en 1995. Mais le CIP (Contrat d’insertion professionnelle), en 1993, avait déjà amorcé un tournant.
Dans la revue de la LCR Critique communiste, Isaac Joshua a écrit : « Le rapport du mouvement de la jeunesse à celui des salariés s’éloigne du terrain de l’alliance, se rapproche de celui du front de classe : une part grandissante des salariés a entamé des études universitaires et l’immense majorité des étudiants se destinent au salariat. Dès lors, du lycéen ou de l’étudiant au salarié, la césure persiste mais laisse de pus en plus apparaître de simples points de suspension. »
De plus, un étudiant sur deux travaillait pour payer ses études, tandis que la situation de précarité des doctorants, post-docs, et des stagiaires de divers types, ont éclaté au grand jour les années précédentes avec des mouvements du type Génération Précaire par exemple.
Jeunesse et classe ouvrière
Par ailleurs, les liens ont été immédiats dans les universités, notamment sur la connexion entre CPE et CNE, du fait de l’explosion de la précarité dans les universités, avec souvent 30 % à 50 % de postes précaires (contractuels, CDD de 3 ou 10 mois…), l’externalisation de nombreux services (ménage, informatique…).
Enfin, on a coutume de rappeler le rôle de la jeunesse comme déclencheur de mobilisations de la classe ouvrière et, effectivement, la mobilisation dans la jeunesse a joué un rôle d’entraînement, donnant de l’énergie aux manifestations, par des diffusions et rencontres sur les lieux de travail, par les discussions dans les familles… Les jeunes en mouvement se sont d’ailleurs rendu compte que les journées d’action où les salariéEs se mobilisaient massivement pesaient plus fortement dans le rapport de forces que plusieurs jours de grève et de blocage des universités…