C’est dans le contexte actuel de vifs débats sur son orientation, marqué par le départ de Florian Philippot, que le FN tente de se positionner, tant bien que mal, à propos de la « réforme » du code du travail impulsée par Emmanuel Macron.
Dans les publications du parti (dont un tract sorti le 29 août 2017), ou encore dans les prises de parole de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale sur le sujet, l’analyse du projet de « réforme » du code du travail par le FN repose sur deux grands piliers : le parti d’extrême droite parle dans le tract précité d’une « réforme exigée par Bruxelles et au seul bénéfice des grands groupes » dont le résultat serait, outre un recul des droits des salariéEs, « des TPE/PME encore plus écrasées par les grands groupes ».
Faux arguments et vraie démagogie
Or, sur ces deux points fondamentaux, le discours du FN est faux. Tout d’abord, s’il est vrai que les représentants de l’Union européenne accueillent favorablement la « réforme » française, celle-ci n’a pas été uniquement imposée de l’extérieur à la France. Certaines des mesures qu’elle comporte ont été revendiquées dans des textes du patronat français dès 1985. Certes, la Commission européenne a formulé – dans des « recommandations » du 13 mai 2015 – des propositions allant parfaitement dans ce sens. Elle ne faisait là, cependant, que formuler un consensus des élites capitalistes, appuyé par des acteurs puissants à l’intérieur de la France. Ainsi, même si l’argument « Tout est la faute à l’UE » existe aussi au sein de la gauche et s’il a été martelé dans une partie du mouvement social de 2016, en brandissant les « recommandations » du 13 mai 2015, il est bel et bien faux. Oui, la politique de l’Union européenne est de manière générale orientée par les intérêts du patronat ; mais la politique nationale ne l’est pas moins, dans un contexte de compétition économique (capitaliste) généralisée.
Par ailleurs, il est inexact de prétendre qu’une poignée de grands groupes seraient les seuls bénéficiaires – dans l’ordre interne français – d’une loi qui serait faite au détriment des « petits » et « moyens » patrons. Certes, ces derniers peuvent être eux-mêmes victimes d’une concurrence économique, qui détruit des capitaux au bénéfice des plus productifs ou des plus concentrés d’entre eux. Mais dans leurs rapports avec les salariéEs, les « petits » et « moyens » patrons ne sont pas moins avantagés par la nouvelle « réforme » du droit du travail que les très grands. Bien au contraire : certaines des pires mesures, concernant la démocratie sociale, s’adressent tout particulièrement et spécifiquement aux petits et moyens patrons. Il en va du droit de négocier avec des « représentantEs » des salariéEs ni élus ni mandatés par une organisation syndicale (prévu dans les entreprises de moins de vingt salariés) ou du droit pour l’employeur d’organiser lui-même un référendum pour faire adopter un projet d’accord hors syndicats.
Ni gauche ni gauche
Toutefois, au sein du FN, le positionnement vis-à-vis de la « réforme » et de sa contestation n’est pas allé sans vifs débats voire affrontements. Pour la première fois depuis fort longtemps, des observateurEs ont pu identifier quelques responsables du FN qui défilaient – de façon non repérable par des signes distinctifs – dans la manifestation conduite par les syndicats, le 12 septembre à Paris. Deux proches de Florian Philippot, Maxime Thiébaut ainsi que Nathalie Desseigne, ont concrètement sauté le pas. Mais ce ne sont pas les cortèges syndicaux auxquels se sont intégrés les quelques frontistes qui sont réellement descendus dans la rue. La lutte d’un groupe spécifique, celui des forains – qui combattent un décret d’avril 2017, imposant aux municipalités de procéder à un appel d’offres avant l’installation d’un spectacle sur la place publique – s’était greffée sur la mobilisation du jour. Au matin du 12 septembre, certains forains avaient d’ailleurs mené des actions de blocage de la circulation à Paris. C’est leur mobilisation, qui s’est par la suite reflétée dans un cortège à la manifestation (sociale et syndicale) parisienne, qui a servi de marche-pied à la participation de frontistes. C’est aussi dans le cadre des blocages au matin du 12 septembre que Florian Philippot s’était fait photographier, faisant comprendre qu’il avait ainsi prétendument rejoint les mobilisations.
Auparavant, il avait soutenu publiquement un appel de Marcel Campion, que certains affublent du titre de « roi des forains », parlant de « bloquer tout le pays ». Un soutien qui avait attiré à Philippot un reproche de la part du maire d’extrême droite de Béziers, Robert Ménard, qui l’a qualifié de « pire que le pire des gauchistes » (sic). Déjà à la mi-août 2017, Ménard avait comparé Philippot à un « leader de la CGT », ce qui n’était vraiment pas un compliment dans sa bouche. Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de la cheffe, avait à son tour réagi aux mobilisations sociales du 12 septembre, sur Twitter, par ces mots : « C’est devenu un sport national de faire chier les Parisiens qui bossent. »
Malgré une opposition de principe à la réforme (au nom de la défense des PME/TPE), le FN est donc loin de se comporter comme une force unifiée et homogène, face aux mobilisations sociales et syndicales en cours. Comme lors des mobilisations de 2016, le FN est visiblement tiraillé par ses contradictions, et la tension entre le « social » et le « national », entre le profil « ni gauche ni droite » et l’hostilité au mouvement social et syndical, est d’autant plus palpable que le parti traverse une crise d’orientation stratégique.
Pour le moment, cela constitue une chance pour le mouvement social ; mais les antifascistes ne devraient pas se reposer sur cet état passager des choses, car le FN et l’extrême droite en général ont fait montre, par leur passé, de leur capacité à rebondir et à s’adapter, a fortiori dans un contexte de crise économique, sociale et politique.