Austérité budgétaire, transformation de l’hôpital en entreprise, la mobilisation montante en défense de l’hôpital public situe bien les responsabilités. La crise actuelle n’a rien d’une fatalité, elle est au contraire la conséquence de choix politiques constants des gouvernements successifs de droite comme de « gauche ».
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital est un lieu d’accueil charitable (même si la charité est, en partie, devenue laïque). Les soins de qualité sont, pour l’essentiel, dispensés hors hôpital, aux malades qui en ont les moyens. La situation se transforme à partir de 1945. La Sécurité sociale donne à chacunE le droit de se soigner. L’hôpital financé par la Sécurité sociale se dote de professionnelEs compétents et acquiert des moyens techniques performants. Le territoire se couvre d’un réseau serré d’établissements publics, des hôpitaux locaux aux CHU facilitant l’accès aux soins pour tous. C’est autour de ce service public que se structure alors le système de santé.Ce modèle a ses limites : il n’a jamais existé en France (à part en psychiatrie) un véritable service public de santé assurant la continuité des soins dans et hors l’hôpital, ceux-ci restent essentiellement le fait des praticiens libéraux généralistes et spécialistes. Mais l’accès de touTEs à l’hôpital garantit néanmoins à chacunE la possibilité de soins proches et gratuits.
Une stratégie de démantèlement Dès la fin des année 1970, l’austérité budgétaire se met en place. À partir de 1995 (plan Juppé), les gouvernements successifs engagent une stratégie cohérente de démantèlement qui se fixe trois objectifs complémentaires :– imposer l’austérité budgétaire à l’hôpital, afin de réduire la part des dépenses de santé socialisées (Sécurité sociale) ;– en finir avec la place centrale de l’hôpital dans le système de santé, en confiant une partie croissante de ses missions au secteur privé : « externalisation » de certaines fonctions (logistique, ménage, linge, mais aussi médico-techniques, radiologie…), transfert d’activités (les plus rentables) vers la médecine libérale ou l’hospitalisation privée ;– mettre l’hôpital public en concurrence avec le secteur privé en lui imposant les normes de fonctionnement de ce secteur. « Rentabilité » et « productivité » deviennent les mots clés de l’hôpital-entreprise.Avec Juppé, Jospin, Chirac, Sarkozy, Hollande, les contre-réformes se complètent : carcan budgétaire imposé dans une enveloppe fermée, restructurations, regroupement d’établissements, fermetures de lits, de services, d’hôpitaux et de maternités de proximité, désastreux partenariats public/privé. Un nouveau mode de tarification, et une nouvelle « gouvernance » font de l’hôpital un « établissement de production de soins », au détriment de la qualité et de la sécurité de ceux-ci pour les patientEs. Les conditions de travail des professionnelEs deviennent de plus en plus insupportables et le travail lui même perd son sens.
« Capitalisme médical »S’appuyant sur des avancées techniques réelles (réduction des durées d’hospitalisation) et des évolutions nécessaires (continuité des soins pour les pathologies chroniques), le politiques libérales voudraient imposer un « virage ambulatoire », c’est-à-dire le déplacement de la majeure partie des soins hors de l’hôpital. Il s’agit en réalité d’un virage.... vers la privatisation. Les soins « ambulatoires », de moins en moins remboursés par la Sécurité sociale, passent progressivement sous le contrôle d’un « capitalisme médical » aux mains des grands groupes d’hospitalisation privée et des assurances dites « complémentaires » qui mettent en place des réseaux de soins concurrentiels.Macron/Philippe/Buzyn voudraient « finir le travail » entamé par leurs prédécesseurs. La loi santé votée au printemps dernier veut y contribuer. Elle va accélérer les fermetures et restructurations d’hôpitaux publics. Les hôpitaux et maternités de proximité restants seront transformés en EHPAD avec quelques lits de médecine. Mais leur projet se heurte à une dure réalité : comment vendre aux usagerEs la poursuite du démantèlement de l’hôpital public alors que s’étendent les déserts médicaux, et que l’accès aux soins hors hôpital est de plus en plus problématique pour des raisons financières. L’hôpital reste pour beaucoup le seul recours et ils ne veulent pas le perdre, comme l’a montré le mouvement des Gilets jaunes.Quant aux professionnelEs, après avoir subi pendant des années les contre-réformes, sans qu’aucune résistance coordonnée ne se soit mise en place, ils et elles s’unissent aujourd’hui autour des enjeux fondamentaux : le refus de l’austérité et de la marchandisation de la santé.