Publié le Lundi 8 octobre 2018 à 10h17.

La médecine de ville à bout de souffle

Une pénurie organisée

Depuis des années, grands patrons et gouvernements de droite et de gauche ont organisé la pénurie de médecins, espérant réduire les dépenses de santé. C’est le numerus clausus, créé en 1971 à 8 500 places, qui baisse jusqu’à 3 500 places en 1993, pour remonter ensuite. Conséquence : une baisse de 9 % du nombre de généralistes en 10 ans, qui va s’aggraver puisque 28 % des généralistes ont plus de 60 ans. Et la médecine générale libérale n’a plus la cote auprès des jeunes médecins. Moins de 10 % d’entre eux deviennent généralistes. Des horaires à rallonge, une pratique qui fait toucher du doigt les difficultés quotidiennes des patientEs : le travail, l’alimentation, le stress, la consommation d’alcool et de tabac, la sédentarité, le niveau d’information, le pouvoir sur sa vie… mais sans moyens réels d’y porter remède ! Des relations difficiles avec la médecine hospitalière, mais aussi une pression incessante des caisses pour réduire les dépenses et contrôler de plus en plus les prescriptions, les arrêts de travail... Les déserts médicaux s’installent. La médecine libérale et son paiement à l’acte sont à bout de souffle.

Alors que les médecins de ville travaillent déjà en moyenne 56 heures par semaine, comment penser qu’ils pourront demain assurer des gardes dans les hôpitaux, coordonner les soins à domicile de malades plus lourds sortis plus tôt des hôpitaux, même si tout cela est baptisé « communauté professionnelle de territoire de santé » ? Et ce n’est pas l’exemple de la psychiatrie de secteur qui peut rassurer... Alors que le service public de santé mentale était déployé au plus près des patientEs sur tout le territoire, la politique d’austérité et de privatisation du gouvernement l’a détruit. Seuls les patientEs les plus riches auront la possibilité de se faire suivre par une psychiatrie libérale de ville elle aussi surchargée.

Si 4 000 infirmierEs de pratique avancée seraient bien utiles dans des centres de santé pour faire de l’éducation thérapeutique, des réunions de malades, de l’information sur l’alimentation, Buzyn créé 4 000 postes d’assistantEs médicaux pour faire gagner du temps aux 100 000 médecins généralistes. Elle espère ainsi « faire gagner 15 % du temps médical ». En clair, alors qu’une consultation à 15 minutes en moyenne est déjà un rythme infernal à tenir, il s’agirait de la faire passer à 12,5 minutes. Et Buzyn de nous dire que les généralistes pourraient ainsi accueillir 15 % de patientEs en plus !

Les déserts médicaux : le fruit de décisions politiques

5,7 millions de personnes vivent dans un désert médical, c’est-à-dire « une zone où la densité médicale par rapport à la population est inférieure de 30 % à la moyenne nationale », selon la définition du ministère de la Santé.

Les raisons de l’existence de ces déserts médicaux sont multiples : le numerus clausus, la fermeture d’hôpitaux dans un but de réduction des dépenses publiques. Près de 100 services de médecine sur 252 ont été fermés ces dix dernières années dans les hôpitaux locaux. La transformation des hôpitaux en prétendus hôpitaux de proximité, décidée par le gouvernement, va avoir pour conséquence la fermeture de maternités, de blocs et de services spécialisés dans les hôpitaux de proximité.

Le résultat est sous nos yeux : ­urgences hospitalières surchargées, un nombre toujours plus important de renoncements aux soins de la part des personnes ne pouvant pas avancer les frais de santé. Les dernières mesures de Buzyn ne changeront rien dans l’immédiat : au mieux la fin du numerus clausus produirait ses effets dans 10 ans, si les étudiantEs choisissent d’être généralistes, et le recrutement de 400 médecins salariés annoncé par le gouvernement est loin d’être suffisant.

La télémédecine ne peut pas remplacer le médecin

Un médecin qui ne peut pas vous regarder les oreilles, qui ne peut pas palper votre ventre, qui a un sourire de machine… Vous aimeriez ? Bienvenue dans la télémédecine, pour laquelle les assurances risquent de multiplier les plateformes ! Et la télémédecine ne pourra pas pallier le manque de médecins… Sauf s’il n’y a pas vraiment de médecin derrière la machine ! Souvenons-nous de l’exemple de Naomi Musenga, morte pour un refus de prise en charge par le Samu. C’est une perma­nencière qui avait géré l’appel. Les médecins sont surchargés et, de toute façon, dans l’impossibilité de répondre à tous les appels, car ils sont en sous-­effectif ! Dès lors, si la télémédecine peut être fort utile pour avoir l’avis d’un spécialiste, coordonner les actions autour du malade, aider le diagnostic… elle ne peut pas et elle ne doit pas remplacer le médecin généraliste, la relation médecin-malade ! À moins d’accepter une médecine de plus en plus déshumanisée et uniquement techni­cienne, qui trouvera le meilleur algorithme pour remettre au travail au plus vite les plus pauvres, seuls les plus riches pouvant se payer unE médecin en chair et en os !