Entretien. Dans les collectifs de défense de la santé, des hôpitaux, des services publics, nous côtoyons les mutuelles solidaires. Ces mutuelles n’adhèrent pas à la FNMF et méritent d’être mieux connues. Nous nous sommes entretenus avec une de leurs militantEs, Dolorès Meunier.
Pourquoi des « mutuelles solidaires » en dehors de la puissante FNMF ? Quelle est votre spécificité ?
Un rappel historique : la Mutualité a été créée en France par le Compagnonnage, composé d’ouvriers de haute qualification qui se sont organisés pour se protéger, se former, s’entraider. La famine dans les campagnes et la création des mines, des manufactures (tissage) ont obligé le paysan à quitter la campagne pour venir travailler dans les villes.
Au 17e siècle, ils ont créé les caisses de secours mutuel pour répondre aux besoins alimentaires lorsque l’ouvrier était sans travail à cause de maladie, de grève. L’idée de solidarité était née, elle se concrétisait : celui qui pouvait travailler aidait l’autre. C’est la naissance de la mutualité ouvrière.
Elle va porter en elle le syndicalisme qui fera sa propre route. La mutualité ouvrière traversera une période difficile : la loi Le Chapelier (1791) abolit les corporations de métier et interdira aux ouvriers de s’organiser ou de faire grève. La mutualité est condamnée à la clandestinité, et l’État bonapartiste, qui ne lui accordera aucune place, créera la Mutualité officielle.
Notre mutualité des travailleurs renaîtra avec le Conseil national de la résistance. Dans les années 1960, elle se donnera une instance nationale, la première Fédération de la mutualité ouvrière, créée par le syndicat CGT. Elle se transformera en Fédération de la mutualité des travailleurs, puis Fédération des mutuelles de France.
Elle s’est donnée à la FNMF au Congrès de 2005, position que nous avons refusée. Nous en sommes donc sortis, et nous avons créé « l’Union nationale des groupements mutualistes solidaires » afin de conserver toutes les valeurs humanistes de défense de la Sécurité sociale, de résistance à la marchandisation de la santé.
La FNMF n’a donc plus rien à voir avec la mutualité ouvrière ?
La mutualité officielle mise en place par Napoléon Bonaparte récupère l’idée de mise en commun et la détourne. Elle est donnée à des dirigeants qui sont les notables des villes : notaires, chirurgiens, etc. Il ne s’agit plus d’autogestion par les mutualistes eux-mêmes : ceux-ci cotisent, font des assemblées générales, mais sont « encadrés » par l’appareil d’État qui va « orienter » leurs décisions.
Pendant l’Occupation, la Mutualité va lancer un appel à soutenir le gouvernement de Vichy dans sa demande d’envoyer les jeunes « travailler » dans les usines allemandes. Plus récemment, pour suivre et précéder les orientations européennes, le président de la FNMF de l’époque, M. Teulade, a demandé l’inscription des mutuelles dans la directive européenne de la marchandisation de la santé, en la liant au code des assurances.
Quel doit être le rôle de la Sécurité sociale pour la FNMF et pour les « mutuelles solidaires »?
La FNMF participe à la gestion de la Sécurité sociale1 et son but est de la faire disparaître. Elle avait reçu de l’État en 1930 la commande de créer les Assurances sociales (une couverture sociale pour les ouvriers percevant des petits salaires). Ses dirigeants convoitent encore cette place sans voir ou refusant de voir qu’ils font le lit des assurances privées.
Autre exemple, le récent parcours santé mutualiste reprend la méthode des réseaux américains dirigés par les compagnies d’assurance HMO2, et instaure un parcours négocié avec une partie du corps médical sans tenir compte des conventions sécurité sociale.
Quant à nous, mutuelles solidaires, nous restons de fervents défenseurs de la Sécurité sociale. Nous savons bien qu’elle seule est capable de mettre en place une véritable solidarité nationale avec une mise en commun de moyens au niveau national, prenant la richesse à sa source, et gérée par les travailleurs eux-mêmes.
Nous pouvons l’accompagner dans ce travail en créant des réponses sociales aux besoins spécifiques : petite enfance, loisirs, promotion de la santé, prévention, aides aux personnes en difficulté, création de services pour personnes âgées.
Comment lutter contre le non-recours aux soins d’une partie de la population ?
Nous voulons une sécurité sociale prenant en charge les soins à 100 %. C’est tout à fait notre objectif, mais depuis sa création, la Sécurité sociale a rencontré le pire prédateur humain : la finance. Celle-ci n’a eu de cesse que de vouloir la détruire au détriment des intérêts de la majorité de la population. Pour gagner cette bataille, il faudrait que tout un chacun comprenne la complexité du dossier, que syndicats, partis de gauche, associations diverses, s’entendent pour la défendre.
Quant à nous, nous sommes actuellement écrasés par les assureurs et les financiers. Ils sont maîtres de l’État et utilisent la Mutualité française comme outil de destruction. Au final, cette dernière disparaîtra, mais comme elle est partenaire des assureurs donc de la finance, elle est aujourd’hui un simple outil. L’organisation de la solidarité lui est totalement indifférente.