Pourtant retiré du projet initial, un amendement du gouvernement ajoutant au code du travail des dispositions relatives aux « travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation électronique » et à la « responsabilité sociale » de ces entreprises a finalement été ajoutés in extremis à la version finale de la loi travail.
Toute coïncidence entre cet ajout et l’annonce par l’Urssaf, en mai dernier, de l’engagement d’actions en justice visant à faire reconnaître l’existence d’un lien de subordination entre Uber et ses travailleurEs, requalifiés en salariés, et à faire condamner le délit de travail dissimulé par détournement de statut, n’est bien évidemment pas fortuite…
Le code du travail à front renversé
Du coup, le code du travail sauce El Khomri énonce désormais en toutes lettres que les travailleurEs des plateformes de mise en relation sont des travailleurEs indépendants, y compris lorsque c’est l’entreprise qui détermine le prix et les caractéristiques du service fourni, deux indices habituels de la dépendance économique inhérente à la relation salariale...
La loi leur accorde pourtant quelques menus droits bénéficiant aux salariéEs : accès à la formation professionnelle ; prise en charge des cotisations accidents du travail par l’entreprise – et encore seulement au-delà d’un certain chiffre d’affaires – ; droit de grève et droit de créer des syndicats ou d’y adhérer.
Avec la loi travail, les actions en requalification ne seront certes pas impossibles. Mais elles reposeront entièrement sur l’action individuelle et collective des travailleurEs ou des services de contrôle (Urssaf, inspection du travail) et il faudra démontrer que les entreprises gardent la mainmise sur les recrutements, le choix des prestations et le contrôle du travail.
El Khomri procède à l’inverse de ce que le code du travail prévoit pour d’autres professions (les journalistes par exemple) qui bénéficient par la loi d’une présomption de salariat ouvrant automatiquement le droit à l’ensemble des protections réglementaires, charge à l’employeur de démontrer le contraire.
40 % du SMIC
La loi travail agit surtout pour préserver la concurrence sur un secteur où se joue une féroce guerre de prix en maintenant au plus bas le prix de la force de travail. Ainsi, Uber a dû revoir ses tarifs en Chine, et a subi une perte de plus d’un milliard de dollars au premier semestre 2016. Outre les levées de fonds et les économies en capital fixe et circulant (Uber ne paie rien pour les véhicules ou l’essence), la pressurisation du revenu de ses travailleurEs est un élément stratégique de développement si Uber ne veut pas entamer ses colossales réserves, estimées à 8 milliards de dollars...
La loi travail y répond donc en empêchant les travailleurEs d’accéder à l’élément primordial de la relation salariale, le salaire lui-même et les droits qui en découlent. Un calcul effectué par le journal Alternatives économiques montre ainsi que pour un chiffre d’affaires de 4 500 euros par mois (montant moyen constaté par Uber), un chauffeur peut espérer gagner 750 euros s’il est locataire de sa voiture et 900 euros s’il en est propriétaire, déduction faite des frais (entretien, location, amortissement, carburant, assurance, cotisations sociales, etc.)... et de la commission prélevée par Uber. Soit, pour une moyenne de 70 heures par semaine, un revenu horaire de 2,50 à 3 euros net correspondant à peine à 40 % du SMIC !
Une précarité qui s’ajoute aux inégalités sociales et raciales : une étude du ministère des Transports établit que les chauffeurs d’Uber se recrutent en proportion plus importante dans les communes franciliennes populaires où le taux de chômage est élevé.
Julien (Comité inspection du travail Île-de-France)